Noé Batigne s’est intéressé à la vie et l’œuvre de Marc Arcis, un artiste quelque peu oublié au destin hors du commun, né au fin fond de notre campagne lauragaise.
Naissance à Mouzens
Marc Arcis a vu le jour dans la paroisse de Mouzens, commune située dans le Tarn. Bien que son acte de baptême n’ait pas été retrouvé, les cahiers paroissiaux de Mouzens ne débutant qu’à partir de l’année 1680, un nombre suffisant de preuves ont été rassemblées pour pouvoir le confirmer.
Un acte notarié très précieux a révélé que son père Jean était originaire du consulat de Labécède dans l’Aude. J’ai orienté mes recherches vers ce village et ai retrouvé son grand-père, Bernard, maître maçon, marié à Jeanne Escoffre, cité en 1629. Bernard Arcis est également mentionné dans le contrat de mariage de son fils Jean.
Jean Arcis, maçon, né en 1624 à Labécède, épouse le 1er janvier 1650 à Mouzens, Isabeau Olivier, fille de Maffre Olivier, maître maréchal de forge, et d’Antoinette Moulis. Il est probable qu’il soit venu à Mouzens au moment de la reconstruction de l’église, celle-ci requérant une main d’œuvre qualifiée. Comme le chantier a duré un certain temps et Mouzens étant éloigné de Labécède, Jean devait loger chez l’habitant. C’est ainsi qu’il fit sans doute la connaissance de son épouse Isabeau. Cela est d’autant plus probable que la famille Olivier, forgerons de père en fils, habitait une maison dans le « barri », faubourg du village situé à proximité de l’église. Après son mariage, il s’installe à Mouzens où il exerce son métier de maçon.
Grâce à divers documents nous avons appris qu’il fut marié deux fois. En premières noces avec Isabeau Olivier dont il eut trois enfants : Marc, né vers 1651 à Mouzens, Suzanne et Jean. Ce dernier, tailleur de pierre puis sculpteur, a travaillé avec son frère aîné qui l’associe à plusieurs de ses projets ou de ses chantiers notamment à Toulouse et à Pau. Et en deuxième noces avec Antoinette Bosc dont il eut également trois enfants : Suzanne, Marc Antoine et Jeanne.
Jean Arcis meurt le 30 mai 1704, au Cabanial sans doute chez sa fille Suzanne, à l’âge de quatre-vingts ans. Il avait écrit son testament le 7 février 1704 dans lequel il exprimait ses dernières volontés. Il donnait et léguait à ses filles mariées, 5 sols, car elles avaient bénéficié d’une dot lors de leur mariage ; à Jean, la quatrième partie de ses biens ; à Marc Antoine, quand il reviendra des Armées du roi, 200 livres ; à Jeanne, lorsqu’elle se mariera, 200 livres plus un lit garni, du linge de maison et un coffre de noyer, et il instituait pour son héritier universel et général, son fils aîné Marc, maître sculpteur du roi, habitant à Toulouse.
Marc Arcis qui travaillait en 1691 au projet d’une statue du roi Louis XIV pour la ville de Pau, épouse dans ce lieu Jeanne Blanc, originaire de Toulouse, fille de Bernard Blanc, sculpteur et architecte de cette ville, et de Marie de Brun. Il semble qu’il ait fait des allers-retours entre les deux cités. Son contrat de mariage fut enregistré à Toulouse le 7 décembre 1691 en présence de son protecteur Jean-Pierre Rivalz. Toutefois il a résidé plusieurs années à Pau puisque trois de ses enfants y sont nés : Marie-Anne, Bernard et Louise. A partir de 1696, il vit à Toulouse car tous ses autres enfants sont nés dans cette ville et baptisés dans la cathédrale Saint-Etienne : Pierre Marc, Jean, Jacques, Antoine, Marc et Marie-Françoise. Son épouse, Jeanne Blanc, décède vers le 14 avril 1712.
Ses débuts à Toulouse
Nous ignorons pour ainsi dire tout de sa jeunesse et de son apprentissage. Comment, le fils d’un modeste maçon de campagne, a-t-il fait pour aller étudier la sculpture à Toulouse ? Son père, en tant que maître maçon et demeurant à Mouzens a certainement travaillé à l’entretien ou même construit des bâtiments dans les propriétés de la famille de Foucaud, seigneurs du village. Peut-être que son fils y a lui-même contribué. Ayant été remarqué pour son talent précoce, les Foucaud, qui résident également à Toulouse où ils possèdent un hôtel particulier, l’y amènent et le recommandent à quelques-uns des artistes locaux qu’ils connaissent ou ont employés. Il ne faut pas oublier aussi que la famille de Foucaud était apparentée ou en relation avec des personnes influentes ayant été ou étant membres du Parlement. Aussi il n’est pas surprenant de lui trouver, en premier lieu, comme maître à dessin l’architecte et peintre toulousain Jean-Pierre Rivalz. Celui-ci d’ailleurs le recommande et le cautionne par la suite lors d’importants travaux commandés par les Capitouls de Toulouse.
En 1674, âgé seulement de vingt-trois ans, il passe avec ces magistrats un contrat fort important ce qui laisse supposer qu’il était déjà un artiste confirmé car ces derniers n’auraient certainement pas confié un tel ouvrage à un néophyte. Lors de l’aménagement qu’ils ont entrepris pour embellir l’Hôtel de Ville (Le Capitole), ils lui consentent une commande comprenant la réalisation d’un buste de Louis XIV, que l’on peut admirer actuellement au Musée des Augustins, une suite de trente bustes en terre cuite des personnages célèbres de Toulouse ainsi que de nombreux éléments de décor en stuc. Le tout fut réalisé en l’espace de trois années et terminé en 1677.
Il monte à Paris
Après l’achèvement de ces travaux, effectués pour orner la Salle des Illustres, il décide de quitter Toulouse pour monter à Paris, ce malgré la protection dont il jouit de la part de ses maîtres et de l’avenir prometteur qui se présente pour lui en tant qu’artiste local. Cependant il faut se rendre à l’évidence que pour un jeune sculpteur, la perspective de perfectionner son style sur d’autres chantiers l’attire grandement et en particulier le château de Versailles qui n’est pas encore terminé. Les dirigeants de la ville le laissent donc partir à contre cœur mais lui accordent néanmoins une aide pécuniaire avec l’arrière-pensée qu’ils pourraient peut-être un jour tirer profit de sa formation parisienne ; c’est d’ailleurs ce qui se produit quelques années plus tard.
Arrivé dans la capitale Marc Arcis œuvre plusieurs années pour des particuliers. En 1684, à la demande des Capitouls, il rend visite, à plusieurs reprises, à divers peintres parisiens, notamment Jean Jouvenet et Antoine Coypel, qui ont été contactés pour exécuter de grandes peintures destinées à décorer l’Hôtel de Ville. Cette relation avec les grands maîtres lui permet de se perfectionner dans l’art du dessin et lui servira par la suite pour réaliser d’autres œuvres. Admis à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture de Paris en 1685 et le château de Versailles étant encore en construction, il participe à la décoration du parc en créant en particulier des vases monumentaux. Il décore également par de magnifiques stucs en relief des trumeaux de dessus de porte dans les appartements royaux.
De retour en province
Les travaux de Versailles s’achèvent en 1687 et l’année suivante nous le retrouvons en province. Cette année-là ce sont les Etats de Béarn qui lui confient le projet d’une statue en pied du monarque pour orner la ville de Pau. La conception du modèle est commandée à Girardon et il est chargé de réaliser la reproduction en bronze.
Certainement que tout en exécutant son travail à Pau des clients toulousains lui passent commande et en particulier Gabriel Vendages de Malepeïre, conseiller au présidial de Toulouse, membre de l’Académie des Jeux Floraux, pour achever la décoration de la chapelle du Mont Carmel dans l’église des Grands Carmes. En 1701, les Capitouls soucieux de terminer la troisième galerie de l’Hôtel de Ville, dont les travaux avaient été abandonnés depuis plusieurs années, le sollicitent à nouveau. Ces derniers s’accordent avec lui et, pour un modeste prix, lui confient divers travaux qui s’échelonnent jusqu’en 1706. Il est chargé, en particulier, d’orner les trumeaux situés au-dessus des grands tableaux de peinture placés dans le monument.
Grâce à son expérience il acquiert une maîtrise incontestée dans l’art du travail de la terre et du stuc ce qui rend les ouvrages bien meilleur marché car ces derniers, une fois vernis d’une certaine façon, ressemblent beaucoup au marbre. Cette technique lui permet d’obtenir de nombreux contrats en particulier pour les ornements des églises. Son talent pour le dessin le fait exceller dans la taille des images, il réalise ainsi, à partir du début du XVIIIe siècle, de nombreux retables de maître-autel et en particulier ceux des églises des Grands Carmes, des Cordeliers et des Grands Augustins. Parallèlement aux travaux menés à l’Hôtel de Ville il exécute, en 1701, pour l’église Notre-Dame de Grenade-sur-Garonne deux œuvres concernant les figures de Saint Sébastien et de Saint Roch qui seront disposées dans les niches latérales du retable. Un grand chantier lui est confié en 1705 par les Pénitents Blancs qui veulent embellir leur chapelle. Ainsi dans six trumeaux creusés de niches sont sculptées, en terre cuite et en ronde bosse, des figures de prophètes accompagnées de consoles ornées de festons et de guirlandes de fleurs en stuc. Dans le fond, le décor consiste en une gloire en demi-relief accompagnée de deux anges l’adorant, confectionnés en plâtre et de la même grandeur que les prophètes. Une peinture rouge et blanche rehaussée d’or est appliquée sur tout ce décor.
Un autre chantier un peu de la même envergure lui sera proposé vingt ans plus tard, en 1725, par les Pénitents Bleus. Celui-ci consiste en dix grands bas-reliefs en stuc représentant les trois vertus théologales, les quatre vertus cardinales et les trois vertus morales caractéristiques de la Confrérie accompagnées de deux concerts d’anges. Ainsi sont représentées :
La Foi, La Charité, La Justice, La Tempérance, La Pénitence, L’Espérance, La Prudence, La Force, La Modestie et La Bienfaisance. Le tout peint en blanc et posé sur les murs bleus de la chapelle, du plus bel effet.
Marc Arcis ne se cantonne pas que dans la sculpture en terre, en plâtre ou en stuc, il réalise aussi des œuvres en marbre. Il exécute, en 1703, le portrait post mortem de François de Nupces destiné à son tombeau, ce dernier est actuellement conservé au Musée des Augustins.
Dans le domaine funéraire son ouvrage le plus important lui est commandé en 1712 pour la réalisation du mausolée tout en marbre d’Hector de Gélas de Voisins, marquis d’Ambres. Antoine Coysevox réalise le plan du tombeau et Marc Arcis la sculpture. Le défunt est représenté grandeur nature agenouillé sur un prie-Dieu. L’ensemble est mis en place, en 1715, dans la chapelle des Cordeliers de Lavaur.
À partir de 1718, un important chantier lui est confié, qui se poursuit pendant plusieurs décennies et ce progressivement par intermittence, concernant la rénovation du chœur de l’église Saint-Sernin. On enlève d’abord l’ancien retable un peu massif et le sculpteur exécute à la place un bas-relief en plomb et étain doré, représentant le martyre de Saint Saturnin. En même temps il réalise un autel à bords moulurés en marbre de Caunes Minervois.
Quelques temps plus tard l’évêque de Tarbes fait appel à lui pour modifier le maître-autel de la cathédrale Notre-Dame de la Sède, la consécration a lieu en 1721. En 1727, le chapitre de la cathédrale Saint-Etienne lui commande la réalisation des statues des évangélistes Saint Marc et Saint Luc qui sont placés dans les niches latérales du retable et que l’on peut admirer encore aujourd’hui. Les changements opérés suscitent de la part des chanoines une nouvelle commande qui consiste en un autel à la romaine composé de marbre de Caunes-Minervois et de Sarrancolin.
De nouveaux fonds ayant été réunis, le programme de rénovation de l’église Saint-Sernin reprend en 1736. Le sculpteur est à nouveau sollicité pour remplacer le baldaquin gothique par un ouvrage dans le goût du temps et un somptueux dais, à l’agencement aérien, est dressé au-dessus du reliquaire de Saint Sernin. La consécration de cette œuvre a lieu en 1739.
Cette même année, le 26 octobre, Marc Arcis s’éteint à l’âge de quatre-vingts huit ans.