Clément Ader et le début de l’aéronautique en Lauragais

IL Y A 150 ANS CLÉMENT ADER S’INSTALLAIT EN LAURAGAIS POUR UNE INVENTION QUI TRANSFORMA LE MONDE : L’AVION

Clément Ader arrive à Castelnaudary à la fin de l’automne 1870, en pleine guerre franco-prussienne (Fig.1). A 29 ans, un diplôme d’ingénieur en poche et déjà titulaire de plusieurs brevets, il n’a qu’une idée en tête : construire un appareil ailé pour la navigation aérienne. Après ses premières études sur un cerf-volant d’observation destiné à l’armée, il sait qu’il est capable de «faire voler le plus lourd que l’air», en embarquant à bord de l’appareil un moteur entraînant une « hélice propulsive », capable de lui communiquer une vitesse suffisante pour son envol. Si le concept est innovant pour l’époque, le défi est de taille : pour que son rêve devienne réalité, Ader devra optimiser la forme, la résistance et le poids des ailes, puis concevoir un moteur suffisamment puissant et léger.

Ader parcourt le Lauragais sur son véloce caoutchouc

Employé à la Compagnie des chemins de fer, dans les années 1860, pour la construction de la ligne Toulouse-Bayonne, Clément Ader a inventé et pris des brevets sur une machine à relever les rails de chemin de fer, ainsi que sur le rail sans fin, précurseur de la chenille utilisée plus tard pour les tracteurs et les tanks. Mais, à l’aube des années 70, c’est sur un « véloce-caoutchouc » de son invention, qu’Ader fait la conquête du public du Lauragais. Dans son brevet de «Perfectionnement aux vélocipèdes», il explique comment augmenter l’adhérence et rendre la machine moins bruyante à l’aide d’une bande de caoutchouc insérée sur une jante creuse en forme de V : Ader a inventé le pneu plein.

Avec son véloce-caoutchouc, les as du moment gagnent toutes les courses ! Ader s’aligne lui-même sur la ligne de départ. Le 2 janvier 1870, il participe à la course Toulouse – Castanet ; le vainqueur Marty ne mettra que 48 min pour faire les 17 km du trajet aller-et-retour, grâce au véloce caoutchouc d’Ader ; l’inventeur, moins bien entraîné, arrivera quatrième. Le 27 mars 1870 il se lance dans la course Toulouse – Villefranche ; il fera les 63 km de l’aller-et-retour en 3h 48 min, à 7 minutes du vainqueur Jules Léotard, lui aussi sur un véloce-caoutchouc. Le 4 mai 1870, Ader fait la course aller-et-retour Toulouse – Caraman ; il mettra 3h16 minutes pour faire les 45 km. Pour Ader, c’est la gloire, sa voie est toute tracée, il sera fabricant de cycles ! Hélas la guerre franco-prussienne de 1870, qui éclate le 19 juillet, ruine ses ambitions.

Un cerf-volant d’observation pour sauver la France attaquée

Au mois d’août, l’ennemi est déjà aux portes de Metz. Pour aider l’armée, Ader propose aux autorités militaires de construire un cerf-volant d’observation à caractère innovant. Il demande et obtient un local au Polygone militaire de Toulouse (Zénith actuel). Durant les mois de septembre et octobre 1870, Ader étudie et met au point une voilure avec une forme à profil creux qu’il appelle courbe universelle. Cette forme, idéale car issue de la nature, est le fruit de toutes ses réflexions antérieures sur les ailes des oiseaux et des coléoptères, car dès son tout jeune âge Ader rêvait de voler. Il était encore enfant, quand il avait réalisé ses premières ailes. Ader décrit son accoutrement dans un brouillon de notes écrit au crayon. « Je pris ma plus grande veste dont j’attachai le fond, derrière, à ma ceinture et quelques mètres de lustrine, je rejoignis les manches aux basques de mon habit et pour surcroît d’ampleur, un bâton à chaque main sur lesquels était clouée l’extrémité de la lustrine ». C’est ainsi qu’il testa dans cet accoutrement, à la nuit tombante, sur le flanc d’un coteau, face au vent, l’effet de portance de sa « voilure ».

La situation militaire du pays étant catastrophique, l’armée se désintéresse du cerf-volant d’observation et abandonne le projet en priant Ader de bien vouloir débarrasser au plus vite le polygone militaire de tout son matériel. Fort de ses expériences sur le comportement de sa voilure à profil creux et de ses tout premiers essais à l’aide de petits insectes mécaniques volants, type hanneton, munis d’une hélice et d’un ressort, Ader sait qu’il est capable d’accomplir le rêve d’Icare, faire voler un appareil plus lourd que l’air. Pour mettre à bien son projet de recherche, et travailler dans le plus grand secret, c’est à Castelnaudary qu’Ader trouve un sponsor et un atelier vacant pour remonter ses installations.

Un mécène à Castelnaudary pour le projet d’Ader

C’est son ami Casimir Douarche, un ancien collègue qu’il a rencontré quand il travaillait à la compagnie des chemins de fer, devenu fabricant de produits céramiques, mécène et novateur dans l’âme, qui offre à Ader le local et le financement de ses travaux contre une aide technique pour le démarrage de sa nouvelle et grande usine à vapeur. Douarche avait acheté une vieille tuilerie trois ans auparavant, au bas de la promenade, route de Mazères. Devant l’importance des travaux de rénovation, il avait préféré construire une nouvelle usine, à proximité de l’ancienne, de l’autre côté de la voie ferrée. Au mois de décembre Ader installe son atelier dans les locaux vacants de la vieille usine. Il racontera plus tard :

« Dans son usine, mon ami Douarche avait trouvé des locaux qu’il avait bien voulu me prêter. Là, avec quelques ouvriers recrutés sur place, dont un bien brave homme, charron de métier, Bacquier, intelligent, adroit, capable de tout faire, nous commençâmes l’oiseau, en employant les membrures, genre fibrage ; on en retrouvera le principe dix ans, vingt ans plus tard, dans « Eole et l ’avion ». »

Des ailes pour l’avion

Si le projet de recherche d’Ader présente deux aspects novateurs, l’un relatif à la voilure à profil creux, l’autre au moteur léger et puissant, notre inventeur vient à Castelnaudary pour mettre au point les ailes à profil creux de son futur avion. Il se lance alors dans la construction d’une machine d’essais aéronautiques, la première de tous les temps, pour optimiser la structure et la géométrie de la voilure ; une machine qu’il appelle « l’oiseau en plume » (Maquette exposée au Musée de l’Aviation légère de la Montagne Noire, partenariat avec l’Apparat, lire Couleur Lauragais juillet/août 2002).

Le génie créateur d’Ader explose pour construire la machine d’essais de 9 mètres d’envergure, car il a en tête toute une batterie d’expériences pour mesurer et calculer l’efficacité des ailes. C’est probablement dans la glaise lauragaise de la poterie qu’il galbe leur forme à profil creux pour atteindre la courbe universelle de la spirale logarithmique, une courbe idéale et magique. Pour aboutir à une structure légère et résistante, il excelle dans le choix des matériaux ; il utilise du bois creux, invente des matériaux composites et fait appel aux plumes d’oies en guise de toile, avec l’aide d’ouvrières de Villeneuve-la-Comptal (Fig2 et Fig.3). Ader écrit :

« Les ailes étaient en bois creux, les tiges en fibre, les barbes en plumes d’oies qu’on s’était procurées dans les environs de Castelnaudary. Nous piquions la plume dans la tige, la collions et l’entoilions : la besogne délicate, minutieuse, toute de patience et très longue, par conséquent. Mais nous obtenions une très grande légèreté et cela valait bien le mal que nous nous donnions (…). Les ailes étaient articulées, pouvaient se lever et s’abaisser et pouvaient aussi se démonter pour se mettre sous le corps de l’oiseau ; un « charniérage » en bois permettait cette manœuvre. La queue, gouvernable par les mains à l’aide de leviers, ne se composait que d’une série de plumes analogues à celles des ailes (…). L’homme – moi-même – se plaçait dans le corps de l’oiseau, ses bras et ses jambes étaient employés à actionner les ailes. Pas de tête à mon oiseau, qui se terminait en cône pointu, effilé afin de réduire la résistance à l’avant (…) l’oiseau qui était attaché par son centre de gravité, ou à peu près, à quatre points d’équerre – en croix de Saint-André – éloignés du centre d’environ quinze mètres. Ces cordes tendues immobilisaient l’appareil horizontalement, mais le laissaient libre verticalement. L’essai se fit par un vent qu’on appelle dans le pays « vent d’autan ». Eh bien, quand ce vent se mit à souffler modérément, l’appareil se souleva m’enlevant à un mètre ou un mètre cinquante approximativement, et se maintint à volonté. Je pouvais le faire monter ou descendre à volonté selon l’inclinaison des ailes. »

Le pech de la Citadelle à Villeneuve-la-Comptal

Ader invente les essais aéronautiques. Il utilise le vent d’autan en guise de soufflerie pour se livrer à des essais de sustentation planée sur le coteau de Villeneuve-la-Comptal, appelé Pech de la Citadelle (Fig.4). Ader s’étant glissé dans le corps de l’oiseau, soulevé par le vent, la force portante a pu être mesurée à l’aide de dynamomètres disposés sur les cordes d’amarrage (Fig.5). Pour son plan d’expériences, Ader peut jouer avec la vitesse du vent mesurée à l’aide d’un anémomètre, pour simuler la vitesse de l’avion et sur les caractéristiques aérodynamiques des ailes qu’il peut faire varier pour les optimiser. Faisant des allées et venues de l’atelier au terrain d’essais, Ader transforme et fait évoluer ses ailes jusqu’à atteindre leur perfection.

Après trois ans de travail acharné, les ailes de son avion sont prêtes. À partir du résultat de ses expériences, Ader calcule qu’il lui faudra un moteur de 12 chevaux-vapeur pour atteindre la vitesse de décollage et que son poids ne devra pas excéder 20 kilogrammes. Le moteur à explosion n’étant pas encore inventé, c’est une machine à vapeur qu’il devra utiliser. Le poids de ce type de moteur avoisinant les 50 à 100 kg/ch., le nouveau défi d’Ader est de construite une machine à vapeur plusieurs dizaines de fois plus légère.

Pour relever ce défi et financer son projet, Ader va à Paris, travaille dans la téléphonie, invente, prend une cinquantaine de brevets, fait fortune, puis entreprend, avec le chaurien Bacquier, la construction du fameux moteur. Le 9 octobre 1890, aux commandes de « l’Eole », premier avion au monde, Ader décolle sur quelques mètres, validant ainsi le concept d’appareil ailé pour la navigation aérienne dont il a déposé le brevet d’invention le 19 avril, pour une durée de 15 ans. Utilisant les concepts de gouverne de direction et de gauchissement de l’aile inscrits dans le brevet d’Ader quinze auparavant, les frères Wright effectuent en 1905 les premiers vols pouvant être qualifiés de « contrôlés ».

C’est ainsi, que Clément Ader a ouvert à Castelnaudary et sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal, la voie de la fabuleuse épopée mondiale de l’aéronautique.


Lire aussi : Clément Ader en Lauragais, terre d’essais aéronautiques, Lucien Aries, Couleur Lauragais mars 2011 et livre du même auteur (380 pages, 2011).

Samedi 13 juin 2020, Journée Clément Ader à Villeneuve-la-Comptal : 11h, inauguration du site Clément Ader réaménagé
14h30 aéro-club Jean Doudiès, conférence Clément Ader père de l’aviation (L. Ariès) 16h30, spectacle de voltige -18h spectacle danse/théâtre au Jardin de la Pomelle.

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