L’épopée du service postal dans le Lauragais

La carriole de la poste romaine passe à Sostomagus

Eh oui, la poste impériale romaine passe par Sostomagus. C’est ainsi qu’on appelle le village gaulois qui a précédé l’actuel Castelnaudary. Sostomagus se trouve, en effet, sur la voie d’Aquitaine reliant Narbonne, capitale de la Gaule narbonnaise, à Toulouse et Bordeaux. La voie a été empierrée au tout début de notre ère, au temps de l’empereur Auguste. La chaussée fait six mètres de large. Elle est stratégique pour Rome. D’une part, elle permet aux légions de mater ces irréductibles Gaulois toujours prompts à la révolte. Elle permet, aussi, d’instaurer le service de transport rapide des correspondances officielles, que les romains nomment cursus publicus (service public). Les messagers à cheval et les voitures de la poste impériale acheminent exclusivement la correspondance d’Etat entre l’empereur, l’administration de la province narbonnaise et les unités militaires. L’empereur «dis-posa sur les routes stratégiques, à de courtes distances, d’abord des jeunes gens, puis des voitures, afin d’avoir des nouvelles plus promptes des provinces, et de pouvoir plus aisément aussi interroger les courriers qui lui étaient dépêchés d’un lieu quelconque, quand les circonstances l’exigeaient» (Suétone). À l’époque, la voie romaine s’étire en longues lignes droites. Elle est jalonnée de mansiones. Il s’agit de gîtes d’étape où les cochers sont nourris et logés pour la nuit et où ils peuvent faire réparer une roue ou un essieu. Il y a aussi, à distances régulières des mutationes. Ce sont les relais intermédiaires. Les carrioles y font halte pour changer de chevaux. Là, sous l’autorité du stationarius (fonctionnaire responsable de station), des esclaves s’occupent des écuries et des soins à donner aux bêtes. Entre Toulouse et Carcassonne, par le col de Naurouze, il y a plusieurs stations :

  • CIVITAS TOLOSA / Toulouse
  • MUTATIO AD NONVM / Pompertuzat
  • MUTATIO AD VICESIMUM / Montgaillard
  • MANSIO ELUSONE / Montferrand
  • MUTATIO SOSTOMAGO / Castelnaudary
  • VICUS EBROMAGO / Bram
  • MUTATIO AD CEDROS / Sainte Eulalie
  • CASTELLUM CARCASSONE / Carcassonne

Castelnaudary apprend l’assassinat d’Henri IV une semaine après

Il faut attendre Louis XI pour voir apparaître la poste royale, en 1464. L’institution est réservée au roi pour « que ses commandements puissent être promptement exécuter, et qu’il puisse avoir des nouvelles de ses voisins quand il voudra ». Des relais de chevaux établis de quatre en quatre lieues sur les Grands chemins du royaume accueillent les chevaucheurs du Roy. Les relais seront confiés à des « personnes fiables, pour tenir et entretenir quatre ou cinq chevaux de légère taille, bien harnachés et propres à courir le galop ».

Sous le règne d’Henri IV, un édit de 1603, autorise les courriers du roi à acheminer la correspondance privée. C’est la naissance de la Poste aux lettres d’État, ouverte aux particuliers et pas seulement au pouvoir royal. La ville de Castelnaudary, siège de la sénéchaussée et présidial du Lauragais, n’a pas attendu cet édit pour échanger des correspondances par porteur spécial à cheval avec Toulouse, siège du Parlement et aussi avec Montpellier, siège de la Cour des Aides et de l’intendant du Languedoc.

Les lettres de Montpellier arrivent dans la capitale du Lauragais, au galop, en trois jours. Depuis Paris, il faut compter une dizaine de jours. Quand Henry IV est assassiné, le 14 mai 1610, les consuls de Castelnaudary, en sont informés sept jours plus tard. Un record ! Un gentilhomme du pays arrive à bride abattue à Toulouse. Il est porteur d’un pli du président du Parlement. Au moment où il pénètre dans la maison commune, il raconte aux consuls de la ville, qu’il a couru «en poste». Il faut comprendre qu’en chemin, il a changé plusieurs fois de monture aux relais de la Poste aux chevaux : « A l’instans, le sieur de Villenovette estans entré dans la salle dudit conseilh a remonstré à icelluy que de ce pas il ne fait que venir en poste de Thoulouse, expressement de la part […] de monsieur le premier presidans pour donner advis de l’execrable accidans arrivé à la France qu’est la mort du bon roy Henry que dieu a voulu, aians esté assassiné dans son carrosse. » (Registre de délibérations des consuls de Castelnaudary). On trouve huit relais sur le Grand Chemin, entre Toulouse et Carcassonne : Castanet, Montgiscard, Baziège, Villefranche, La Bastide d’Anjou, Castelnaudary, Villepinte, Villesèque.

La lettre postée à Castelnaudary en 1676

En 1668, Louvois, ministre de la Guerre et Intendant général des Postes de Louis XIV, fait ouvrir des bureaux de postes dans les villes d’une certaine importance : Castelnaudary, Carcassonne, Limoux, Castres. Nous ne connaissons pas la date exacte d’ouverture de celui de Castelnaudary : sans doute entre 1668 et 1676. En effet, Roger Glavier, président de l’Amicale philatélique de Castelnaudary, nous a présenté l’une des plus anciennes lettres connues de Castelnaudary. Il s’agit d’un pli, c’est à-dire d’un message écrit à la plume d’oie, sur papier vergé, cacheté sans enveloppe. Il est parti de Cas Dary (Castelnaudary), le 24 juillet 1676. La date figure à l’intérieur. On lit le chiffre « 3 » marqué en haut à droite. Il indique les 3 sols à payer par le destinataire à Marmande (Landes). Car, à l’époque c’est le destinataire qui paie le port et non l’expéditeur. Quant au prix, il ne dépend pas du poids mais de la distance entre les deux villes.

En 1706, Revel, qui souffre d’être dépourvu de bureau, décide d’établir à ses frais une liaison postale avec Castelnaudary, qui est la ville la mieux placée pour relier les revélois, à commencer par les bourgeois et les négociants, à Toulouse, à Montpellier et au reste du royaume. Revel s’impose donc, la somme de 25 livres par an pour rétribuer un porteur. Le porteur de Revel est jurat (assermenté), c’est-à-dire qu’il a fait serment de s’acquitter avec probité et célérité de sa mission. Il fixe à la porte de son domicile une boîte dans laquelle les habitants glissent les correspondances à expédier. Un fois par semaine, il récupère à la maison commune le courrier des consuls et l’emporte à Castelnaudary, ainsi que les lettres déposées dans sa boîte. Or, il semble qu’au fil du temps, les relations de Revel avec son bureau d’attache de Castelnaudary se détériorent. Les consuls de Revel se plaignent : « La jalousie des messieurs de Castelnaudary est insatiable ; ils font tout ce qu’ils peuvent pour tracasser notre commerce et gêner la bonne volonté de nos négociants ; ils font retarder nos lettres du Bas-Languedoc le samedi et nous privent par conséquent de tous les avantages réels du commerce ». Pour ces motifs, un bureau de plein exercice est ouvert à Revel, en 1771.

La rapide malle poste dépasse la lourde diligence

Les premières diligences royales commencent à sillonner le Lauragais sous le règne de Louis XIV. Ces voitures hippomobiles, à trois corps, sont monumentales. Elles prennent de nombreux voyageurs. Par la même occasion, elles acheminent des lettres et des paquets, de ville en ville. Elles sont lentes, car il est fait défense aux cochers d’aller au galop, ceci afin de ménager les voyageurs brinqueballés et de ne pas abîmer les routes. En 1780, les messageries royales sortent un nouveau modèle de diligence. C’est la Turgotine, créée à l’initiative de Turgot, l’inventif Contrôleur général des Finances de Louis XVI. Le but n’est pas d’améliorer la rapidité, mais le confort des passagers. Les Turgotines de l’entreprise Ramel, de Toulouse, relient au petit trot Toulouse à Montpellier. Elles font halte dans les relais de poste du Lauragais. Néanmoins, elles s’avèrent encore lentes pour le transport du courrier. À noter que la barque de poste qui fait escale à Castelnaudary, malgré son nom, ne transporte que des voyageurs, jamais de courrier, hormis celui de l’administration du Canal.

En fait, sous l’Ancien Régime, le courrier rapide n’est pas confié aux diligences de passage, mais à des cavaliers qu’on appelle les postillons. Le postillon sonne du cor pour prévenir le relais de poste de son arrivée et obtenir, de nuit, l’ouverture des portes de la ville. Le postillon est parfois attendu aussi par les brigands de grand chemin. Ainsi, en 1768, le sieur Estadure, maître de poste de Baziège, signale à l’Intendant de la Province de Languedoc « qu’un de ses postillons, il y a deux ans, fut tué à environ mille pas de Villefranche, sans qu’on ait pu découvrir par qui ; qu’un autre de ses postillons au mois de février dernier en revenant de Castanet, la nuit, fut arrêté par des voleurs, qui lui prirent tout ce qu’il avait sur lui ; que, le 12 avril dernier, un autre de ses postillons, en revenant de Villefranche, fut encore arrêté par trois coquins qui lui prirent tout ce qu’il avait sur lui après l’avoir maltraité de plusieurs coups ; qu’enfin ses autres postillons étant intimidés de ces événements veulent le quitter ; pourquoi il supplie qu’il soit ordonné des ordres pour établir la sécurité des chemins ».

L’Administration générales des postes et messageries est créée par la Convention nationale en 1795. La Poste aux lettres et la Poste aux chevaux se trouvent enfin réunies au sein d’une même administration. De nouvelles voitures, qu’on appelle les malles postes sont dédiées à l’acheminement du courrier. Devant la cabine aux sacs postaux, à l’intérieur du coupé, peuvent prendre place seulement trois voyageurs payants, pas un de plus. Les malles postes, légères et attelées de quatre chevaux roulent deux fois plus vite que les diligences. Elles sont prioritaires quand elles se présentent au relais de poste en même temps qu’une diligence. Deux fois par semaine la malle poste passe à Chaury (nom donné à Castelnaudary sous la Révolution). Le métier de postillon évolue. Maintenant, il monte le timonier, le cheval attelé juste devant le véhicule, à gauche du timon. Pour éviter les chutes, il enfile ses pieds dans de vastes bottes de cuir bouilli, fixées sur les flancs de la bête et armées d’éperons. En novembre 1848, la malle poste est attaquée par un homme armé entre Castelnaudary et Revel. Le conducteur s’en tire en jetant une bourse au malandrin.

La naissance du premier timbre-poste

En 1848 plus de 120 millions de plis circulent en France. Les facteurs distribuent le courrier et aussi, encaissent le port des lettres auprès des destinataires. On imagine leur charge de travail. Alors naît le timbre-poste, une innovation venue d’Angleterre. Dorénavant ce sont les envoyeurs qui paieront l’affranchissement en achetant des timbres au bureau de poste.

Le perpignanais Etienne Arago, qui a fait ses études à Sorèze, est nommé Directeur général des Postes sous la Seconde République. Il crée le timbre-poste, le 23 août 1848. On lit dans son Avis au Public : « Pour faciliter l’affranchissement des lettres ordinaires sans déplacement pour le public, l’Administration fera vendre dans tous les bureaux de poste, et aussi par les facteurs en tournée, à dater du 25 décembre courant, au prix nominal de 20 centimes, 40 centimes et 1 franc, des estampilles ou timbres-poste dont l’apposition sur une lettre suffira pour en opérer l’affranchissement. Les lettres pourront être ainsi affranchies par les envoyeurs eux-mêmes, puis jetées à la boîte sans autre formalité. Les timbres-poste sont gommés sur le verso ; l’envoyeur devra les coller avec soin et, autant que possible, sur l’angle droit de la lettre ». Tout est dit. Cette réforme marque la naissance de la philatélie. En 2018, Castelnaudary a accueilli le congrès régional de philatélie. Quant à l’Amicale philatélique de Castelnaudary, elle fête son 30ème anniversaire le 9 mars 2019.

Le facteur de Castelnaudary et les noms de rues

« C’est le privilège des facteurs. Ils connaissent le nom de tout le monde et personne ne connaît le leur » (Marcel Pagnol).

Le facteur à Castelnaudary distribue le courrier tous les jours de semaine à partir de 1832. Il a une bonne connaissance de la ville, car il n’y a aucune plaque de rue. C’est seulement à partir de 1885, que l’adjoint au maire, qui n’est autre que le poète occitan Auguste Fourès, fait apposer, les premières plaques. Le facteur doit se familiariser avec de nouvelles dénominations. En effet, celui qu’on nomme « le Félibre rouge », a fait souffler un vent républicain sur la ville. Ainsi, le Cours Maillé portant le nom du dernier évêque de Saint-Papoul, chassé par la Révolution, est rebaptisé Cours de la République ; la rue Sainte-Croix devient rue de l’Horloge ; la rue Saint-Antoine devient rue de l’Hôpital ; la place Saint-Michel s’appelle place Montmorency ; le Champ du Roi, haut lieu de prostitution au Moyen-Age, devient Place de la Liberté.

Le facteur rural connaît chaque pierre du chemin

La distribution et la collecte du courrier dans les communes rurales dépourvues de bureau de poste est instaurée par la loi, à partir de 1829. C’est à ce moment-là qu’apparaît la figure emblématique des Postes (on ne disait pas encore la Poste) : le facteur rural. Dans les campagnes lauragaises on reconnaît de loin sa blouse de toile bleue, son collet rouge, sa sacoche en bandoulière et son bâton. Si les habitants ne lui donnaient pas des pourboires et quelques denrées pour prix de ses commissions, il serait forcé de s’inscrire au bureau de bienfaisance de la commune pour nourrir sa famille. C’est un robuste qui effectue sa tournée à pied, par tous les temps. Il dessert les bordes les plus isolées et peut accomplir une trentaine de kilomètres par jour. C’est aussi un poète qui connaît chaque pierre du chemin. On sait que c’est lors de ses tournées que le facteur Cheval, d’Hauterives (Drôme), imagine son « palais idéal » à partir de 1879 pour ne l’achever qu’en 1912. Le « fat’tou », le facteur rural, contribue à l’ouverture des campagnes au XIXe siècle.

L’ère nouvelle : le courrier en train ou en ballon

La poste profite du développement du rail. À Castelnaudary, le 2 avril 1857, devant une foule enthousiaste et dans une nuée de vapeur, la locomotive toute sirène rugissante, entre pour la première fois en gare. La gare de Castelnaudary est inaugurée, et avec elle, dans la région, celles d’Avignonet, Ségala, Mas Saintes-Puelles. Le train relie désormais Castelnaudary à Paris, via Toulouse, en douze heures. L’exploitation de la ligne est concédée aux frères Isac et Émile Pereire et à leur Compagnie des chemins de fer du Midi et du Canal latéral à la Garonne. La Compagnie a l’obligation de transporter le courrier. En 1870, la ligne Castelnaudary-Castres entre en service. À partir de 1873, les lettres sont triées pendant le trajet du train, dans le wagon postal : un gain de temps considérable. Le règne des postillons et de la malle poste est bien révolu.

Pendant la guerre de 1870, la ville de Paris se trouve assiégée par les Prussiens. Alors, pour faire partir quand même le courrier, des ballons avec nacelle sont utilisés par les Postes. Simplement, il est demandé aux envoyeurs d’écrire sur du papier fin et de replier la lettre en la cachetant sans utiliser d’enveloppe. Les plis ne doivent pas excéder 4 grammes. L’une de ces lettres, postée au bureau des Feuillantines à Paris, est emportée dans le ciel parisien par le ballon baptisé Washington. L’aérostat franchit les lignes malgré les tirs de barrage et la lettre parvient par le train à Castelnaudary, pour être remise à sa destinataire. On lit la mention « Par ballon monté » : ce sont les prémices de la poste aérienne. Une ère nouvelle s’ouvre pour les services postaux. Plus tard viendront les pionniers de l’Aéropostale. Mais ceci est une autre histoire.

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