Ce que je vais vous conter, braves gens, se passait dans les temps anciens, bien loin de la frénésie de la vie actuelle. Cela est une drôle d’histoire qui est arrivée tout à fait par hasard à un brave coq de campagne, qui ne se doutait pas du tout qu’un jour il ferait la renommée du joli village de Saint Julia. Donc, voici l’histoire vraie ou presque de ce fameux coq.
Chantecler était son nom, et n’avait pas son pareil pour réveiller les gens bien avant que le soleil se lève. Sur les barreaux du poulailler où il se perchait, à gorge déployée, il criait et Sidonie, sa patronne, l’avait choisi car il était tellement beau avec ses plumes rouges et noires, sa crête raide le faisait ressembler à un cardinal, que dis-je, une véritable couronne pour cet empereur des emplumés et sous le bec une paire de bajoues qui lui donnaient un air plus respectable qu’un juge d’instruction. Cela n’était pas uniquement ce qui avait conduit la Sidonie à le choisir comme directeur du poulailler.
Notre Chantecler était ce que l’on appelle bien monté et cela était très utile avec la cinquantaine de poules qu’il devait contenter. Aussi, il n’avait pas fait dix pas qu’il se mettait à l’ouvrage et comme on disait d’un autre coq célèbre « Comme le coq d’En Paute, de sur une, il saute sur l’autre », notre Chantecler, avec son bec, accrochait la crinière de ses compagnes et de ses ergots, accrochait leur dos. À chaque coup dans le mille, ces caqueteuses en avaient pour leur argent et, passé ce moment, elles revenaient vite au poulailler en chantant pour y faire un bel œuf. La Sidonie était bien contente de son maître coq, d’autant que, quand une de ses poules devenait glousse, elle lui faisait couver dix huit œufs qui s’avéraient tous bons et cela donnait dix huit poussins qui venaient grossir le cheptel du poulailler en prouvant que notre chanteur « était aussi un bon père ».
À l’époque dont je vous parle, les poules dans nos fermes étaient en totale liberté et se promenaient toute la journée à travers champs. Tout ce travail et ce cheminement faisaient que les coqs de fermes, comme notre Chantecler, ne s’étouffaient pas avec la graisse qu’ils avaient sur eux, cela leur prolongeait la vie jusqu’au jour où ils passaient à la casserole après de nombreuses années de service. Pour pouvoir le manger, il fallait le faire cuire au moins une semaine à la soupe de tous les jours. Mais maintenant, nous arrivons au point crucial de notre histoire. Vous savez tous que dans les temps anciens, notre région était couverte de beaucoup de forêts, mais, qui dit forêts, dit bêtes sauvages et surtout des renards qui se faisaient un plaisir de prendre le déjeuner dans la couvée de poules qui gambadaient alentour.
Cela arrivait de temps en temps à la pauvre Sidonie qui voyait qu’il lui manquait quelques pensionnaires, elle entendait bien notre Chantecler crier au fond de la vallée, mais cela ne suffisait pas à maître Goupil qui emportait un joli déjeuner au fond du bois. Un jour qu’elle en avait assez de voir disparaître ses pensionnaires, elle dit au Joseph, son mari : « Joseph, il faut que nous fassions quelque choses pour arrêter le renard de nous bouffer les poules ! ». Le Joseph qui avait déjà beaucoup de travail avec ses vaches et ses chèvres, se mit à calculer ce qu’il pouvait bien inventer pour arrêter ce carnage. Il se gratta la tête un moment et il dit à Sidonie « j’ai trouvé, je vais placer le long de la forêt des traquenards qui nous servent pour attraper les loups ! ». Il faut dire qu’à cette époque, les loups affamés descendaient souvent de la Montagne Noire et n’hésitaient pas à attaquer les habitants de la région donc, tout le monde était équipé de traquenards pour les attraper. Chose dite, Joseph descendit au bord du bois, le long du ruisseau de Peyrencou pour y placer des traquenards aux endroits où il pensait que le renard passerait. Il les couvrait d’herbe sèche pour les camoufler et revenait à son travail à l’étable ou au pré.
Le lendemain de cette affaire, comme chaque jour, notre Chantecler cria l’arrivée du jour et sortit avec toute sa cour par le petit trou du poulailler. Il n’était pas plus tôt dehors que notre Don Juan se mettait à l’œuvre, ce n’était pas le travail qui lui manquait. Passé ce premier temps de protocole habituel, le voila qui prend le chemin des champs, tout fier et caqueteur, en tête de son armée de soupirantes. « Suivez-moi », il leur disait en gonflant les ailes. Les poules, comme vous le savez, sont des bêtes qui passent leur vie à gratter tout le long de la journée et maître coq faisait pareil. Dès qu’ils voyaient quatre pailles, les voila qui grattent, qui gratteront pour voir si dessous il n’y aurait pas quelque graine ou quelque ver pour se l’envoyer dans le jabot. Celà dura toute la matinée, de temps en temps Chantecler les appelait : « venez là, il y a de quoi gratter ! », les autres ne se le faisaient pas dire deux fois et elles s’empressaient de le rejoindre. Tout ça se passait comme d’habitude le long du chemin de terre qui descendait vers le ruisseau de Peyrencou, tout en grattant et en chantant. Tout d’un coup, notre matamore avisa un petit tas d’herbe sèche au bord du ruisseau « venez vite ! » dit à ses copines le maître du poulailler, « je vais commencer à dégager le secteur pour voir s’il y a quelque chose de bon là-dessous ! ». Notre coq ne se doutait pas du tout que sous cette herbe se trouvait le traquenard placé par Joseph. Pauvres enfants, il n’eut pas gratté deux fois que le traquenard sauta, se fermant brutalement sur les « coucougnettes » de notre Chantecler. Le voilà qui se met à crier vers ses poules qui s’étaient mises à caqueter « tirez-moi de là, au lieu de discuter ! ». Les poules tournèrent autour du traquenard où notre coq était prisonnier avec ses parties précieuses coincées par les dents du terrible engin. Elles essayèrent de gratter, de piquer du bec mais rien n’y faisait, notre coq qui continuait à hurler à l’envers ne pouvait pas se sortir. Alors, dans un effort suprême, il se mit à tirer, à tirer malgré les douleurs et ce qui devait arriver, arriva. Tout d’un coup, notre coq tomba lui d’un côté et les coucougnettes de l’autre. Voilà qu’il reprit le chemin de la ferme et tout honteux de sa nouvelle situation, il partit se cacher au fond du poulailler.
Les jours suivants, la Sidonie se posait des questions, elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi, tout d’un coup, notre Chantecler ne chantait plus à l’arrivée de l’aube, ni pourquoi il ne galopait plus les poules en sortant du perchoir, elle avait remarqué aussi que la crête et les bajoues s’asséchaient. « Peut-être il est fatigué, se disait la Sidonie, nous allons attendre quelques jours, peut-être ça lui passera ! ». Mais les jours passaient et rien ne changeait chez notre coq. « Il n’est pas malade, se disait la Sidonie puisqu’il engraisse à vue d’œil, la seul chose qui m’inquiète c’est qu’on dirait qu’il change de parole, il parle comme une glousse maintenant ! ».
Et c’est comme ça braves gens, vous pouvez me croire, que naquit le premier chapon de notre chrétienté. Les gens de nos campagnes informés de l’évènement se mirent à refaire le coup du traquenard à tous les poulets qu’ils voulaient engraisser et cela dure depuis la nuit des temps, et, c’est ici, à Saint Julia que cela se passa.
Vous ne trouverez pas cela dans l’histoire de France, bien sûr, car pendant longtemps nous avons voulu cacher ce secret. Pourtant, bien des années plus tard, notre village de Saint Julia devint célèbre grâce à ces fameux chapons qui lui ont donné son nom.