La rue Rouge, à Castelnaudary, relie l’actuelle place de la Liberté (appelée anciennement le Champ du Roy) et la rue de la Fontasse. Au XVème siècle, les « femmes honnestes » ne s’aventuraient pas dans cette venelle, à peine assez large pour que deux personnes s’y croisent. Car les « fillettes », c’est ainsi qu’on nommait les filles publiques, y racolaient les passants. Le bordel municipal se trouvait, semble-t-il, à l’entrée du passage, au coin du Champ du Roy. L’établissement aux volets clos était signalé par une lanterne rouge qui restait allumée pendant les heures d’ouverture, d’où le nom de rue Rouge.
Au Moyen Age, des « ribaudes » ou « filles de joye » racolaient sur la voie publique, derrière les églises et jusque dans les cimetières. Elles furent nombreuses à accompagner les croisés en Terre Sainte. En 1254, le roi Louis IX, dit Saint-Louis, en revenant de la septième Croisade, ordonna que soient « boutées hors du royaume les ribaudes tant des champs comme des villes » et que leurs biens et vêtements leur fussent confisqués par les juges. Ces femmes s’installèrent alors, hors des remparts des villes, dans des cabanes en planches, appelées bordels. Afin de contenir et, n’en doutons pas, de tirer profit de la prostitution, les communes ouvrirent, avec les deniers publics, des établissements spécialisés dans le commerce du sexe hors les murs d’enceinte, dans les faubourgs. Une lettre de Louis XI de 1469, précise que les bordels sont destinés « à l’habitation et à la résidence des filles communes, tant [à] celles qui y font résidence qu’aux autres qui passent et fréquentent le pays ».
Pour ne pas être en reste, en 1445, les consuls qui dirigeaient la ville de Castelnaudary, demandèrent au roi de France, Charles VII, l’autorisation de construire, un bordel municipal. La commune poursuivait un triple objectif : reléguer les filles de joie dans une rue bien précise, hors de l’enceinte de la ville, ne pas laisser la manne financière que représentait la prostitution aux seules mains du privé et enfin, canaliser la violence sexuelle, qui, à l’époque, régnait dans le Lauragais, tant à la ville qu’à la campagne. Car le viol collectif était pratiqué par la « jeunesse ». Les jeunes gens rassemblés en bandes, s’en prenaient à la servante, à la veuve, à la jeune femme qui avait épousé un homme âgé, à la concubine d’un prêtre. Le charivari était la version édulcorée de cette violence faite aux femmes sans défense. Et les consuls, responsables de l’ordre public, redoutaient ces débordements.
Charles VII délivra son autorisation de créer un bordel sous forme de lettre patente en bonne et due forme, datée du 19 novembre 1445 :
« Charles, par la grâce de Dieu roy de France, au juge du Lauragois et à son lieutenant, salut. Les consulz de la ville de Castelneuf d’Arry nous ont exposé que ladicte ville est assez grande et peuplée et y affluent ou demeurent plusieurs jeunes hommes et serviteurs non mariez et aussi des pourveuz de femmes ou fillettes, publiques, au moins icelles femes publiques qui y sont n’ont point d’ostel et maison expresse en laquelle elles dovent estre trouvées et y demourer toutes séparées de gens honnestes, ainsi que es autres villes de bonne police est acoustumé de faire, dont sordent aucunes foiz noise. s et inconveniens audit lieu. Et pour ce est un hostel hors de la ville et séparé de gens honnestes qui sera appelé le bordel, ouquel demeureront et seront trouvées icelles fillettes. Mais qu’il nous plaise donner auxdiz exposans de ce faire congié ou permission et licence, ains qu’ilz dient requerans humblement icelle. Pourquoy nous, les choses dessus dictes considérées, et pour éviter lesdiz noises et inconveniens, vous mandons et pour ce que vous estes nostre plus prouchain juge illec, commectons se mestier est que appellé nostre procureur ou son substitut en vostre iudicature et autres qui feront à appeller, vous élisez et consignez place ou lieu convenable et illec permectez et donnez licence de par nous auxdiz exposans de faire faire et édifier à leurs coustz et despens hors de ladicte ville en place convenable ledit hostel appellé bourdel pour la cause dessusdicte, et y faites retraire et demourer icelles filletes ou femmes publiques, et vuider ou bouter hors de ladicte ville quant au regard de continuelle résidence. Car ainsi nous plaist il estre fait, et auxdiz exposans l’avons octroyé et octroyons de grace especial par ces presentes, non obstant quellesconques lettres sur ce impétrées ou à impetrer à ce contraires. Donné à Tholouse le XIX jour de novembre l’an mil CCCC quarante et cinq, et de nostre regne le XIIIIe. Par le conseil. »
Le permis de construire étant accordé par l’édit royal, on put édifier l’oustal à usage de bordel et le bailler en fermage à un tenancier. Le 10 décembre 1462, les consuls confièrent l’exploitation de l’établissement municipal à un certain Jordy del Peyro, pour un an, et pour la somme de 15 £ tournois. Comme la municipalité était empêtrée dans les dettes, il fut demandé à Jordy de verser ladite somme à Guiraud Amiel. C’était un marchand de Castelnaudary, à qui la ville devait ce montant, pour l’achat de draps et de vêtements pour habiller les consuls. Le paiement s’effectua en trois termes : un tiers, en juin, à la Saint-Jean-Baptiste, un tiers à la Sainte-Madeleine (22 juillet), le reste à la fin du mois de septembre (Source : AD11 3E9465 f° 206 a).
Tandis que les volets étaient clos, le bordel était signalé par une lanterne rouge que venait allumer le tenancier de la maison pendant les heures d’ouverture, d’où le nom de Rue Rouge. Les prostituées n’avaient le droit d’en sortir que certains jours de la semaine, et accompagnées. À Toulouse, et dans les villes très catholiques, elles étaient autorisées à aller à la messe. Leur travail était interrompu durant la semaine sainte.
À Pamiers, en 1500, le bordel était baptisé par les habitants Castel Joyeux. Les statuts de l’établissement stipulaient que les filles payaient la chambre et le boire et le manger au tenancier, qui se faisait appeler « abbé ». Les femmes versaient à ce dernier, douze deniers par repas. Chacune lui versait, en outre, six deniers par jour pour la chambre, le lit, le feu, le service et la chandelle ou le calelh (lampe à huile). Les clients du Castel Joyeux doivent être agréés par l’abbé. Ceux qui s’avisaient de pénétrer dans la maison sans sa permission, en escaladant le mur, étaient condamnés à la prison. Ceux qui y étaient admis déposaient leurs armes, sous peine d’emprisonnement, d’amende et de confiscations.
Dans le registre consulaire tenu par la municipalité de Castelnaudary, pour l’année 1505-1506, le bordel est encore mentionné comme étant baillé à ferme à un tenancier. Il est enfin interdit aux prostituées de recevoir de trop jeunes garçons ou des hommes mariés. La vérole (en occitan picota négra), importée des Amériques commençait à faire des ravages. L’accès au bordel de Pamiers était refusé aux lépreux et à toutes les personnes atteintes d’une maladie contagieuse. Le bordel n’était pas un tripot. Le jeu y était prohibé. À Castelnaudary, le tenancier qui enfreignait les lois et coutumes municipales risquait d’être fouetté. Les soldats du guet passaient régulièrement.
Le bordel de Castelnaudary fut fermé par la suite, en raison de l’instauration d’un nouvel ordre moral plus sévère. Ce nouvel ordre moral était lié à la montée du protestantisme et à la contre-réforme catholique, qui s’ensuivit, dans la seconde moitié du XVIème siècle. Dès 1561, l’ordonnance royale d’Orléans fit de la prostitution une activité totalement illicite au cœur des villes. L’emprisonnement ou le bannissement punissaient les souteneurs qui ne respectaient pas les nouveaux interdits. Les étuves et autres bains publics furent fermés. Les maisons closes municipales devinrent privées et plus ou moins clandestines.
À Castelnaudary, le nom de Rue Rouge rappelle l’époque où le Champ du Roy, (en occitan Camp del Rey) était le quartier chaud de la ville, mais elle évoque aussi le sort misérable, pour ne pas dire, l’esclavage odieux, que connurent ces femmes prostituées.