Il s’agit d’une colonne de vingt mètres de haut qui pointe vers le ciel au seuil de Naurouze, sur la commune de Montferrand, non loin de Castelnaudary. L’accès en est interdit par une haute muraille et une lourde grille métallique qui n’est ouverte au public qu’en certaines occasions, notamment les journées du patrimoine.
Parfois appelé aussi seuil du Lauragais, le seuil de Naurouze est un seuil géographique situé à la frontière du département de la Haute-Garonne et du département de l’Aude sur la ligne de partage des eaux entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée.
L’obélisque, monument emblématique du canal du Midi
Ce sont les descendants de Riquet, la famille de Caraman et apparentés, qui ont fait ériger à leur frais en 1825-1827, cet obélisque à la gloire de leur aïeul. L’obélisque porte une dédicace : « À Pierre-Paul Riquet, baron de Bonrepos, auteur du canal des Deux Mers en Languedoc ». Pourquoi un obélisque ? Sans doute parce que le Canal est une œuvre pharaonique et que l’égyptomanie règne en France depuis la campagne en Egypte de Napoléon. Pourquoi un tel monument commémoratif à Naurouze ? Parce que Naurouze, point culminant à 189 m au dessus du niveau de la mer, est le lieu où la solution pour alimenter le Canal a germé dans l’esprit de Riquet. Tout son génie a été de recueillir les millions de mètres cubes d’eaux de la Montagne Noire et de les conduire par des rigoles jusqu’à cet endroit, «où les eaues se despartent prenant leur chemin devers Thoulouse & devers Carcassonne». Il est dressé près de l’emplacement de l’ancien réservoir hexagonal abandonné quelques années après la construction du canal à cause de son ensablement récurrent.
À l’origine, un monument monarchiste
En présence d’une foule de plusieurs milliers de personnes, est inaugurée l’obélisque, à Naurouze, le 9 octobre 1825. La date n’a pas été choisie au hasard : il s’agit du jour anniversaire de la naissance du roi Charles X, qui est monté sur le trône depuis un an. Car cette « fête inaugurale » est éminemment politique. Les monarchistes, de retour d’émigration, veulent effacer l’œuvre de la Révolution et de l’Empire et montrer tout ce que le «génial créateur» du canal doit aux Bourbons. Au même moment sont commandées les grandes statues de Riquet que l’on voit aujourd’hui à Béziers, sa ville natale et Toulouse.
Par cet obélisque, les héritiers de Riquet, redevenus seigneurs du Canal, pensent s’assurer de nouveaux droits à la reconnaissance des populations du Languedoc et de la France. Car, en 1792, l’État avait confisqué la part de propriété que détenaient les descendants du créateur du canal, les Riquet de Caraman, qui avaient émigré. Et, le ci-devant Canal royal de Languedoc, a été rebaptisé par les révolutionnaires, Canal du Midi.
Ce jour-là, on inaugure une maquette en bois
Le maître des cérémonies est le comte Maurice de Caraman, descendant de Riquet, membre de la chambre des députés qui représente son frère aîné, le marquis de Caraman, retenu à Vienne où il a été nommé ambassadeur de France. C’est par les soins du comte de Caraman, Lieutenant général des armées du Roi, Lieutenant général de la province de Languedoc, que le Canal a été embelli, d’une double allée de peupliers. Il a administré le Canal pendant près de quarante ans avant d’être chassé par la Révolution. Il lui a consacré la plus grand partie des recettes des années 1779, 1780 et 1781, afin d’ajouter à la prospérité de cette « vaste machine hydraulique », et sauver ainsi les intérêts du commerce. Ce jour-là, il a invité à Naurouze les autorités civiles, militaires, judiciaires et religieuses, les principaux agents du canal aet bien entendu tous les descendants de Riquet, parents et alliés.
Toute la matinée, des trombes d’eau s’abattent sur Naurouze. Vers midi, profitant d’une éclaircie, le cortège officiel précédé d’une formation musicale venue de Castelnaudary, part de la maison du garde-canal pour se rendre aux Pierres de Naurouze. Là est dressée une maquette de l’obélisque … en bois. La vraie colonne sera construite par la suite avec de la pierre que l’on fera venir de Villegly, par barque sur le Canal. Le monument sera achevé en 1827. Le piédestal qu’on voit aujourd’hui est orné de bas reliefs allégoriques. Côté Nord, les armes et le médaillon de P.-P. Riquet, soutenus par Minerve, déesse de la sagesse, et Mercure, dieu du commerce. Côté Sud, une nymphe, symbolisant la Montagne Noire, verse l’eau d’une urne, alimentant la Rigole de la Plaine. Cette eau s’écoule ensuite en deux courants, en référence au partage des eaux du canal. Neptune armé de son trident veille vers l’Océan, et Thétys vers la Méditerranée.
Pour l’heure, le Comte de Caraman, dépose dans un encastrement aménagé dans la pierre de fondation, une boîte en plomb contenant deux pièces de monnaie à l’effigie de Charles X, neuf médailles commémoratives diverses et une plaque de cuivre portant les noms des descendants de Riquet ayant concourus à l’érection du monument.
Une messe est célébrée en plein air par l’abbé Terradou, curé de Montferrand. Monseigneur Julien, évêque de Carcassonne bénit ensuite la pierre de fondation et puis, la foule. Un repas d’une soixantaine de couverts est servi aux descendants de Riquet dans la maison proche du moulin. Après les toasts officiels, est lue une ode commandée à Alexandre Soumet, fils d’un ancien directeur du canal et natif de Castelnaudary. Il n’est pas présent, trop occupé qu’il est à Paris.. C’est le poète et dramaturge romantique que l’on s’arrache, depuis son élection à l’Académie française. On écoute également le long dithyrambe déclamé par le Marquis d’Aguilar, mainteneur des Jeux Floraux.
Le temps des poètes romantiques
Le poète et dramaturge Alexandre Soumet est né à Castelnaudary, le 29 janvier 1786 Après le succès de deux tragédies, Clytemnestre et Saul, il est élu à l’Académie française le 29 juillet 1824.
Ode à Riquet par Alexandre Soumet
(extrait)
Le grand RIQUET à sa patrie
Lègue à jamais le souvenir ;
Et dans sa course souveraine,
Des sommets voisins de Pyrène
Lance son nom dans l’avenir.
Et, semblable à l’Hercule antique,
Il étend son bras prophétique,
Pour forcer deux mers à s’unir.
Bientôt la Naïade embellie
A vu trembler, au gré des vents,
Les grands peupliers d’Italie
Dans l’azur de ses flots mouvans ;
Fière de son doux esclavage,
Entre les glaïeuls du rivage
En souriant elle s’endort ;
Et le commerce à l’onde heureuse
Livre sa nef aventureuse,
Appuyé sur son ancre d’or.
L’obélisque pour toi s’élance
Et déjà grandit sous nos mains.
Un roc taillé par la nature,
De sa superbe architecture
Jusqu’aux cieux porte la hauteur :
Ici la terre obéissante,
De tes travaux reconnaissants,
Veut rendre hommage à leur auteur.
Dythirambe du Marquis d’Aguilar
(extrait)
Sur la France planait le Soleil du génie ;
Il éclairait les arts, fécondait les talents ;
L’éclat de ses feux bienfaisans
Se répandit sur notre Occitanie.
Dans un champêtre asile, un esprit créateur
Conçoit une pensée immense :
Ce mortel fut Riquet : tel qu’un aigle sublime,
D’un vol dominateur il parcourt son pays ;
A sa voix tout se meut, tout agit, tout s’anime,
Aux bords de l’Océan il appelle Thétis.
Entendez-vous ce cri qui frappe le rivage
Quand le premier esquif a traversé les monts :
Gloire au bienfaiteur de notre âge !
Grâces à lui, les fruits de nos moissons
Pourront voguer de l’une à l’autre plage.
En ce premier quart du XIXe siècle, les milieux économiques fondent de grands espoirs sur le Canal pour développer le commerce régional et international. Depuis 1810, s’est constituée la Compagnie du Canal dans laquelle les héritiers de Riquet détiennent la majorité des parts. En outre, depuis cette date, le canal passe dans Carcassonne au lieu de contourner la ville par le nord. La Chambre de commerce de l’Aude, par l’intermédiaire de M. de Rolland qui s’adresse au roi, ne tarit pas d’éloges sur l’ancêtre «auquel se rattache la prospérité d’une des plus anciennes et des plus fidèles provinces de votre royaume». En fait, le canal de Riquet ne répondra pas aux attentes économiques des hommes du XIXe siècle : en 1857, prévoyant la concurrence qu’allait exercer le chemin de fer, ses propriétaires affermeront la voie d’eau à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi. Celle-ci, en situation de monopole, étouffe la concurrence de la batellerie trop lente par rapport à un réseau ferré de plus en plus ramifié. Le bail conclu en 1857, l’ayant été pour quarante ans, en 1897, l’État rachètera le canal. Notre Canal a encore de beaux jours devant lui.