Quand j’étais enfant, j’écoutais religieusement au coin du feu, lorsque mon grand-père Jean Rocacher qui ne savait ni lire ni écrire, mais qui était un extraordinaire conteur, nous racontait cette histoire qui est restée dans ma mémoire.
Le grand-père dans la lune
Je vous parle d’un temps, où le Bon Dieu venait encore sur terre. Ce dernier cultivait un champ mitoyen avec celui de mon grand-père sur les pentes de la Montagne Noire. Ils décidèrent tous deux de planter une vigne.
Au mois de Janvier mon grand-père d’un côté et le Bon Dieu avec ses anges de l’autre se mirent à l’ouvrage et plantèrent des pieds de vigne. Le printemps vint les pieds de vigne poussèrent, mais bien entendu il fallut ainsi travailler ces vignes et les entretenir trois ans avant d’espérer une récolte.
La 4ème année, tout se présenta bien. La vigne avait poussé, elle fleurit et une bonne récolte se présentait. Hélas au beau milieu de l’été un orage de grêle emporta toute la récolte. Plus un seul raisin sur les pieds de vigne, ni chez mon grand-père, ni chez le Bon Dieu, où plutôt chez ce dernier une seule petite grappe formée de 3 grains subsista cachée sous une branche. Mon grand-père l’avait vue, mais il se dit : « ce n’est pas avec cela que le Bon Dieu remplira sa cuve ». Cependant l’automne vint, les 3 grains de raisin étaient toujours là et l’époque venue, la grappe mûrit. Le jour des vendanges arrivé, mon grand-père vit venir le Bon Dieu avec ses anges pour procéder à la récolte. Mon grand-père riait sous cape se disant que ce n’était pas avec une si maigre récolte que le Bon Dieu allait remplir sa cuve. Cependant ayant cueilli la grappe, le Bon Dieu la porta dans la cuve à côté de la vigne et étendant ses mains au-dessus de celle-ci, il dit « cuve remplis toi » et aussitôt sous les yeux ébahis de mon grand-père la cuve se remplit et se mis même à déborder. Le Bon Dieu eut ainsi une bonne récolte de vin pour passer l’année pendant que mon grand-père dut se contenter de boire de l’eau.
L’hiver vint et mon grand-père et le Bon Dieu taillèrent et travaillèrent leur vigne, le printemps suivit avec une bonne poussée de bourgeons, la récolte s’annonçait à nouveau très bonne. Hélas vers l’été s’abattit sur la région une nuée de sauterelles qui mangèrent tous les raisins des deux vignes. Tous sauf un tout petit avec 3 grains, toujours dans la vigne du Bon Dieu. Mon grand-père, pas dupe de la situation, se dit lorsque l’automne venu les 3 grains restant mûrirent « Le Bon Dieu va me faire le même coup que l’année précédente et tu vas y être pour reboire de l’eau ».
C’est alors qu’il se résolut à prendre les devants ; s’introduisant dans la vigne du Bon Dieu, il subtilisa les 3 grains qu’il porta aussitôt dans sa cuve et comme il l’avait vu faire. Il étendit ses mains au-dessus de la cuve et dit « Cuve remplis toi » ce qui fut aussitôt fait pour le plus grand plaisir de mon grand-père.
Le jour venu le Bon Dieu et ses anges revinrent pour faire la cueillette, mais peine perdue, ils eurent beau faire le tour de toute la vigne, la grappe avait disparu. Le Bon Dieu comprit que mon grand-père était à l’origine de ce larcin, il ordonna à ses anges de dresser une clôture impénétrable autour de la vigne fermée en bout par un lourd portail d’épines.
L’hiver revint on tailla et on travailla les vignes et ce fut le même programme, après un printemps prometteur, vint l’été où une terrible maladie emporta tous les raisins, tous… sauf encore la grappe de 3 grains dans la vigne du Bon Dieu. Mon grand-père, au travers de la clôture l’avait aperçue et se dit bien que le moment voulu il trouverait une solution pour aller récupérer cette fameuse grappe à 3 grains.
L’automne vint et avec, la maturité des 3 grains ; c’est alors que mon grand-père se résolut à passer à l’action. Pour cela, il s’allongea sur le sol afin de passer sous le lourd portail qui clôturait la vigne du Bon Dieu. Mais c’était sans compter sur la vigilance de ce dernier qui surveillait de très près sa récolte. Au moment où mon grand-père peinait sous le lourd portail pour essayer de passer, le Bon Dieu fit irruption et l’interpella : « Je te tiens mécréant, c’est bien toi qui l’année dernière m’a volé la grappe de raisins me condamnant avec mes anges à boire de l’eau toute l’année ! Et bien pour ta peine, tu vas prendre ce portail sur ton dos jusqu’à la fin des temps. Tu partiras par les chemins, par les montagnes, sans jamais t’arrêter ».
Et pour preuve de tout çà, je vous engage les jours de pleine lune à regarder de près l’astre des nuits, vous y verrez une forme noire courbée, c’est mon grand-père, qui après avoir gravi toutes les montagnes est arrivé là-haut, chargé de son lourd fardeau continuant de marcher pour expier sa faute !
« Les Légendes des collines du Lauragais »
Publié par la Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol
Les cahiers de l’Histoire – n°18 page 143
www.lauragais-patrimoine.fr