Nostalgie des jardins et passion des fleurs : l’art floral en héritage

Les faiseurs de jardin d’antan

Le retour vers le jardin potager nous renvoie aux jardins de notre enfance, le jardin nourricier, tendres souvenirs de nos anciens, l’échine courbée, les mains calleuses, dévouées à la nécessité de nourrir la famille. Jardins ombragés de fruitiers, tour à tour en fleurs ou chargés de fruits, un léger vent d’autan séchait les draps et linges qui virevoltaient…le caquètement des poules, tout cela correspondait au bonheur d’une vie simple, réglée par les saisons, le soleil ou la pluie ! Avec un peu de diplomatie, nos grands-mères semaient par-ci par-là, quelques graines de fleurs, souvent échangées avec les voisines, touche finale qui apportait de la couleur dans ce paradis où l’on apprenait la vie et le savoir cultiver saisonnier. Faire des bouquets réjouissait et parfumait les maisons. Personnellement je garde un souvenir particulier des retours du jardin, des bouquets disséminés dans la maison, jusqu’à épuisement des vases : lilas, genêts, marguerites coquelicots, bleuets que nous trouvions aussi à foison dans les champs ou coteaux environnants.

Le goût des fleurs : un héritage culturel universel

C’est aux environs du 5ème siècle que remonte l’art chinois de l’Ikebana pratiqué par les moines Bouddhistes mais cet intérêt pour le jardin a depuis toujours dépassé les frontières du monde oriental. Depuis l’antiquité, les civilisations successives ont montré leur goût pour la réalisation de jardins d’agrément et cultivé des plantes médicinales longtemps utilisées, encore aujourd’hui. Il en existe des centaines mais une poignée d’entre elles sont des incontournables de la phytothérapie. Utilisées en infusion, décoction, huile ou onguent, elles sont appréciées pour leurs vertus thérapeutiques qu’il s’agisse de faciliter la digestion, d’apaiser les nerfs ou de venir à bout de certaines infections. Parmi elles, on compte l’ortie, la mélisse, la camomille, le gingembre, le fenouil, l’arnica et tant d’autres encore ! Pour ce qui est plus spécifiquement des fleurs, on note certaines tendances et la mode étant un éternel recommencement, toutes sortes de fleurs et de baies d’autrefois font un retour en force en cuisine comme en décoration. Certaines sont même très appréciées de nos meilleurs chefs cuisiniers, et ce pour notre plus grand plaisir. Enfin, la fleur est également un moyen d’expression et de relaxation à travers la réalisation de compositions florales éphémères, qui permettent à ses auteurs de se détacher quelques instants du quotidien et mobilisent le mental. Cet exercice est au service de la créativité et conjugue à loisir le plaisir de créer.

Les origines de l’art floral

Les bouquets de jardin sont à l’origine de l’Art Floral et de la peinture dite « de fleuristes » du 18ème siècle. Sur ces tableaux, on note la représentation de fleurs et de fruits de différentes saisons pour la bonne et simple raison qu’ils demandaient un temps de réalisation extrêmement long. Le bouquet de jardin a du charme, il a été discipliné par les règles de l’enseignement de l’art floral classique, incontournable, si l’on veut maîtriser l’art du bouquet, et ensuite continuer l’art floral dans sa discipline moderne.

Les règles de l’art floral

L’enseignement de l’Art Floral consiste à connaître et à utiliser de nombreux végétaux en s’appuyant sur la pratique de diverses connaissances et techniques et de l’usage d’accessoires qui sont en perpétuelle évolution. Cette discipline offre à chacun la possibilité de laisser libre cours à son inspiration et de révéler sa propre créativité, au travers des couleurs, contrastes, graphismes des végétaux. Elle concourt à la réalisation d’une œuvre florale unique et sublimée. Les compositions florales classiques supposent l’utilisation d’un contenant ou d’un support. A ce titre, les contenants modernes insufflent une créativité nouvelle qui donne un certain caractère à la composition florale.

Un diplôme spécifique

Les spécificités de la discipline de l’art floral classique et moderne ont conduit les pouvoirs publics à reconnaître des formations diplômantes. Par exemple, le DAFA (diplôme d’art floral artistique) qui s’obtient en trois ans (dont une épreuve de « connaissance de végétaux ») propose trois degrés de maîtrise différents : animatrice (DAFA 1), démonstratrice (DAFA 2) et professeur (DAFA 3). Ce diplôme est décerné par la SNHF (Société Nationale d’Horticulture de France) placée sous l’égide du Ministère de l’Agriculture. Ces formations ont notamment participé à la reconnaissance de certains métiers. Professionnel indispensable à l’aménagement rural et urbain, le jardinier est en effet un maillon fort de l’aménagement du cadre de vie et de l’environnement touristique. Il participe à mettre en valeur le petit patrimoine des communes et contribue à l’embellissement urbain. En la matière, il convient de souligner les efforts des petites communes qui avec peu de moyens et l’aide des bénévoles passionnés, parviennent à offrir un environnement fleuri à la population comme aux touristes.

Les fleurs pour la vie

On garde toujours dans son cœur, une place privilégiée pour les fleurs, perfection et miracle de la nature, qui accompagnent tous les évènements importants de notre vie ! Puis, quand vient l’âge de la retraite et que l’on a du temps pour se consacrer à d’autres activités, on prend plaisir à revenir aux fleurs. Apprendre l’art du bouquet, c’est rencontrer un groupe de passionnés, partager des moments de convivialité, participer à des manifestations florales et pourquoi pas participer à des concours. Le seul risque étant d’attraper le virus, mais quel bonheur que la maladie des fleurs, une maladie qui a fort heureusement traversé les âges, véritable corne d’abondance pour les créatifs de tout ordre. C’est en effet au travers de la transmission des grands-mères, des savoir-faire, qui y sont associés que les anciens ont participé à révéler de grands chefs cuisiniers et des jardiniers passionnés. En tant que professeur, j’ai eu moi-même la grande satisfaction d’accompagner une passionnée d’art floral tout au long de sa formation et je sais que cette dernière, un jour, transmettra à son tour.


Entretien avec Kosette Lacipieras, Professeur et juge nationale d’art floral

À quand remonte votre amour des fleurs ?
J.Lacipieras : « De mon enfance aux côtés de mes grands-parents, commerçants à Revel. Jusqu’à l’âge de 10 ans, j’ai partagé chaque jour avec mes grands-parents les activités du potager. Comme beaucoup de jardins à cette époque, il se trouvait sur une parcelle indépendante et n’était pas attenant à notre maison de ville. Nous vivions au rythme des saisons et des différentes tâches d’entretien du jardin mais pas seulement. C’est également dans ce lieu que nous faisions les lessives et que nous élevions quelques volailles qu’il nous fallait nourrir matin et soir. On y pique-niquait également très souvent en famille au milieu des fleurs et des fruits qui venaient à foison. C’est là que mes grands-parents m’ont initiée au jardinage, je donnais à manger aux poules et j’y ai préparé mes premiers bouquets. Ces moments sont synonymes dans ma mémoire de joies simples et le souvenir d’un intense bonheur. Mon grand-père s’attelait aux travaux les plus durs alors que ma grand-mère était préposée à la taille et à l’arrosage. Elle affectionnait particulièrement les Reines Marguerite et devait négocier avec mon grand-père un peu d’espace pour ses fleurs, ce dernier, plus pragmatique, leur préférant oignons et carottes. »

Quel est votre saison préférée au jardin ?
J.Lacipieras : « C’est le printemps car tout s’y épanouit, les fleurs comme les végétaux, qui sont encore épargnés par la sécheresse ou les intempéries. Juin, le mois fêté par les romains via de nombreuses processions en hommage à Flora déesse de la nature, est plus particulièrement celui des pivoines et des hortensias, les dahlias… Personnellement, j’aime également beaucoup l’automne. Au jardin, l’atmosphère y est différente, très romantique. »

Quelles fleurs ont votre préférence ?
J.Lacipieras : « C’est terriblement difficile, je les aime toutes ! Je dirais la rose, l’impératrice des fleurs, la pivoine pour son charme fou, l’hortensia car c’est une fleur de notre région… J’affectionne aussi les fleurs exotiques, notamment l’orchidée Vanda qui se pare d’un bleu indescriptible, tirant sur le violet, l’anthurium, très majestueux, qui est également un grand classique de l’art floral moderne. »

Justement, quelles sont les bases de la réalisation d’une composition florale ?
J.Lacipieras : « Tout d’abord, il convient de distinguer l’art floral classique et l’art floral moderne, le bouquet à la main appartenant plutôt au domaine de la fleuristerie. L’art floral classique est en quelque sorte le solfège de l’art floral. Il suppose un ensemble très codé de techniques, proportions et utilisations de chaque végétal. Ces règles dictent comment les nettoyer, les tailler, les agencer car toutes les feuilles ne s’utilisent pas de la même manière : certaines se plient, d’autres se tordent, selon qu’il s’agit de feuillages pleins ou ouvragés, de petites ou de grandes feuilles. Leur usage ne sera donc pas le même dans le bouquet. Il en est de même pour les fleurs. Certaines sont utilisées de préférence dans l’art floral classique : la rose et les fleurs de jardin en général, alors que les fleurs exotiques sont l’apanage de l’art floral moderne. »

Où puiser l’inspiration ?
J.Lacipieras : « C’est en réalité le professeur qui choisit le thème du cours, en réalise la créativité et en fait la démonstration. Les élèves sont invités à s’inspirer de la composition et à l’adapter à son contenant. A l’issue du cours, chaque composition est prise en photo et toutes sont corrigées et argumentées par le professeur pour en tirer les meilleurs enseignements. »

Comment choisir son support, quels sont les différents mouvements à donner à un bouquet et les associations de fleurs ou de couleurs à privilégier ?
J.Lacipieras : « Le support se choisit en accord avec le professeur selon le thème imposé. Il peut s’agir d’un vase, d’un pot en zinc ou en verre, ou d’une céramique. Le support peut également être en fer ou en bois. Selon les catégories de feuilles et de fleurs, les mouvements sont codifiés comme une recette de pâtisserie. Toutes les règles de l’art floral dépendent en effet d’une réglementation européenne qui n’évolue qu’à l’issue d’une procédure exigeante. Dans l’art floral classique, on peut associer plusieurs fleurs, par exemple la rose avec le glaïeul, le forsythia, l’aster, le lysianthus … toujours par nombre impair : 3, 5 ou 7. Dans l’art floral moderne, une seule variété de fleur est préconisée, il y a moins de végétaux, le mouvement, la ligne et les vides comptent davantage, de même que le contenant, volontiers excentrique qui inspire le bouquet. Cette discipline se rapproche en réalité de l’Ikebana et a été introduite dans les années 50 en Europe par les femmes d’officiers à l’issue de la guerre d’Indochine. Dans l’art floral classique, c’est à l’inverse le contenant qui est au service du bouquet et s’efface derrière lui. Côté harmonie de couleurs, elle est soumise à certaines tendances, actuellement le blanc domine. Pour les fêtes, on privilégie le rouge et le blanc et en automne, les tons chauds, orangés. Il s’agit bien d’une discipline à part entière qui se pratique avec passion et fait chaque année de nouveaux émules, pour mon plus grand bonheur ! »

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