Dès le début du XVIème siècle et même fin XVème, le pastel se cultivait en Ariège et dans la vallée de la Garonne avant Toulouse. Ensuite la culture s’étendit dans la plaine de l’Hers mort entre Toulouse et Castelnaudary. Puis les coteaux, tant au sud qu’au nord de cette plaine, c’est-à-dire en Lauragais et la vallée du Girou furent gagnés à cette culture.
La culture du pastel
La plante : Le pastel est une plante qui peut vivre un an et demi. Mis à part les plans que l’on gardait pour obtenir les graines de semences, seules les feuilles du pastel jeune (4 mois environ) étaient récoltées. Les plus jeunes, printanières, ayant plus de valeur que celles qui venaient au cours de l’été et de l’automne. Les « bonnes » feuilles de pastel font une dizaine de centimètres de longueur.
La terre et sa préparation : La terre destinée à recevoir du pastel devait être profondément labourée et bien fumée. On ne plantait jamais le pastel sur la même terre que l’année passée : cette culture épuisait les sols et une année de jachère était nécessaire entre deux récoltes sur une même parcelle. Après le labour et un certain temps de repos, la terre devait être ameublie et rendue friable. Le pastel devait être soigné comme une plante potagère et les désherbages fréquents, ce qui requérait une main d’oeuvre abondante.
Les semailles : Quand le sol était ameubli à souhait, on pouvait commencer les semailles : seules les graines triées et bien noires étaient choisies. On pouvait accélérer le processus de germination en faisant macérer les graines à semer dans un mélange d’eau et de fumier.
La récolte : Le pastel jeune était le plus recherché. Dès sa sortie de terre, il fallait le débarrasser des herbes qui l’entouraient afin qu’il puisse se développer sans entraves. Cette culture demandait une main d’œuvre bon marché (femmes, enfants…) et peu rémunérée. Les pieds de pastel n’arrivant pas à maturité en même temps, la récolte était sélective et étagée. On ne cueillait la rosette de pastel, avec une petite faucille, que lorsqu’elle commençait à jaunir. La rosette tranchée, le pied se régénérait pour la récolte suivante. Chez nous on pouvait aller jusqu’à cinq récoltes par an, depuis la St Jean jusqu’en novembre, si la dernière saison avait été clémente.
L’industrie du pastel, les coques
Premier traitement des feuilles, lavage et séchage : Après la cueillette, les feuilles étaient étalées afin d’éviter qu’elles ne pourrissent. Ensuite on procédait à leur lavage afin d’enlever les traces de terre. Ce lavage se faisait en principe au bord d’une rivière en évitant qu’elles ne soient emportées par le courant. Ensuite, elles étaient rapidement séchées et retournées plusieurs fois sur un pré ou sur un espace aménagé à l’abri de la poussière. Une fois bien sèches, elles étaient amenées au moulin pastelier.
Le broyage au moulin : ces moulins étaient à traction animale, car le pastel séché ne pouvait attendre le bon vouloir des vents ou des eaux descendantes et devait être broyé rapidement. Ils avaient une autre fonction dans la préparation du pastel car ils servaient aussi à écraser les « coques » avant leur putréfaction qui empuantissait l’atmosphère. La meule verticale tractée par un âne ou un cheval circulait dans une rigole circulaire où étaient écrasées les feuilles qui y étaient déposées.
Les coques : une fois les feuilles écrasées, réduites en bouillie, elles étaient façonnées en petites boules, tenant dans la main. Ce sont ces fameuses « coques » qui étaient mises au séchage, dans un lieu bien aéré, afin qu’elles se débarrassent de leur eau. Ce séchage, selon la saison durait au moins une quinzaine de jours. La coque prête à l’emploi devenait de couleur noire et laissait une traînée verdâtre, sur un support de papier ou de plâtre, quand on l’ouvrait. Le terme de « pays de cocagne » tire son nom de ces fameuses « coques » qui ont bien enrichi ceux qui en faisaient le commerce.
La fermentation, une affaire de spécialistes : facilement transportables, ces coques étaient ramenées au moulin pastelier ou dans un autre moulin appartenant à leurs acheteurs. Là, elles étaient écrasées, réduites à une pâte, arrosées d’eau croupie, parfois d’urine. La fermentation bactériologique qui s’en suivait dégageait des odeurs nauséabondes qui incommodaient rapidement tout le voisinage (1). Cette fermentation était plusieurs fois réactivée par ajout d’eau, malaxage et aérations jusqu’à la putréfaction. Une réaction chimique se produisait lors de la fermentation : le sucre des feuilles s’oxydait et le colorant restait par suppression du glucose. Mais la réaction devait être contrôlée pour éviter la destruction du colorant. Ce qui posait parfois problème : la température ambiante pouvait accélérer ou ralentir la fermentation et par conséquent intervenir sur l’oxydation. C’était une opération très longue, délicate, qui pouvait durer quatre mois.
L’agranat : Quand la réaction chimique était terminée, on obtenait une sorte de pâte dure qu’on laissait se dessécher. Cette pâte était réduite en poudre : c’était l’agranat, le produit fini utilisable par les teinturiers. On estime qu’il fallait environ 400 coques pour obtenir 100 kg d’agranat.
La collecte, les marchés : certains laboureurs pouvaient s’entendre avec des marchands pour la livraison des feuilles ou des coques. Mais de nombreux marchands toulousains avaient leurs propriétés où l’on cultivait le pastel. Villeneuve-la-Comptal, petit village proche de Castelnaudary ne s’appelait-il pas, à l’époque du pastel, Villeneuve-les-Bernuy (2). Les Bernuy étaient une famille de marchands pasteliers venus d’Espagne. À Baziège, les Lancefoc avaient plusieurs propriétés dans la plaine de l’Hers comme Entière.
Tout le Lauragais et ses alentours furent une grande région productrice de pastel : Pechbusque, Escalquens, Espanès, Deyme, Venerque, Donneville, Montgiscard, Montesquieu, Villefranche, Avignonet, Vallègue, Baziège, Trèbons, La Terrasse, Flourens, Mons, Drémil, Vallesvilles, Montauriol, Lanta, Ste Appolonie, St Anatoly, Castellous, Préserville, Caraman, Auriac, Tarabel, Ste Colombe, Labastide Beauvoir, Cambiac, Cessalles, Maurens, Juzes, Le Vaux, Lux, St Vincent, Lavalette, Gauré, Lagarrigue, Bourg St Bernard, Verfeil, Algans, Belaval, Mourvilles-Hautes, Belfou, Mazères, Mas Stes Puelles, Salles sur l’Hers…
Le grand souci de ces marchands était d’avoir une production régulière et de qualité. Mais les guerres de religion(3), les conditions climatiques, une main d’œuvre plus rare, l’insécurité grandissante et la concurrence d’une plante tropicale, l’indigo, vont amoindrir la culture du pastel jusqu’à sa disparition.
(1) Ceci explique que la fermentation se faisait hors Toulouse et que l’air changeant du Lauragais était vraiment propice.
(2) Jean de Bernuy était un des commerçants les plus riches de Toulouse, ayant fait fortune dans le commerce de pastel. 1503 et 1556. On lui doit l’Hôtel de Bernuy, aujourd’hui le Lycée Pierre de Fermat.
(3) Jacques de Bernuy, fils de Jean de Bernuy et de Marguerite Roux, conseiller au parlement de Toulouse est suspecté d’hérésie en 1568. Il est dépossédé de ses biens qui ont été pillés.
Sources :
Maurice REICHARD, Couleur Lauragais N°60 – Mars 2004.
Patrice Georges Ruffino, Le Pastel : Or bleu du pays de Cocagne 1996.
Jean ODOL, Pays des Cathares et du Pastel. 1995