Il y a 800 ans : la bataille de Baziège

Si pour les Occitans la croisade contre les Albigeois fait partie de leurs années noires, c’est en Lauragais, aux portes de Baziège qu’en unissant leurs forces, ils ont écrit en 1219 l’une de leurs plus belles pages d’histoire dont une reconstitution très fidèle aura lieu en septembre à Baziège à l’occasion d’une grande manifestation.

Les Méridionaux à la reconquête de leurs terres

Commencée par le sac de Béziers le 22 juillet 1209, la croisade contre les Albigeois ne se termina que vingt ans après, le 12 avril 1229, avec le traité de Paris. Au début, entre 1209 et 1216, les croisés écrasent les Méridionaux et font main basse sur leurs terres avec la bénédiction du pape et du roi de France : Simon de Montfort devient successivement vicomte de Carcassonne et de Béziers, puis comte de Toulouse le 11 novembre 1215, à la place de Raymond VI.

La reconquête occitane s’organise autour de Raymond le Jeune, fils de Raymond VI, qui fête ses dix-neuf ans au mois de juillet 1216 ; cette reconquête des terres est soutenue par le comte de Foix, Raymond-Roger avec des combattants intrépides comme ses deux fils, Roger-Bernard et Loup de Foix. Simon de Montfort, tué pendant le siège de Toulouse le 25 juin 1218, a pour successeur son fils Amaury. En 1219, au beau milieu de la croisade contre le catharisme se déroule un combat épique aux portes de Baziège, qui vengera la défaite de Muret en 1213.

Une illustration et des vers pour la bataille

La bataille de Baziège de 1219 est relatée en 240 vers et force détails, dans la Chanson de la croisade albigeoise, la Canso. Il existe plusieurs traductions de cette épopée lyrique de près de 10 000 alexandrins écrite en langue d’Oc. Nous utilisons ici la version traduite et adaptée par Henri Gougaud et éditée en 1989 (Le livre de poche, collection Lettres gothiques). La narration du combat est illustrée par un dessin, dans lequel apparait un bouclier portant les armoiries de la maison de Foix « d’or, à trois pals de gueules », à savoir trois bandes rouges sur un fond jaune (Fig.1). Ce combat épique est aussi relaté par Guillaume de Puylaurens dans sa Chronique traduite par Jean Duvernoy, publiée en 1996, ainsi que par François Guizot dans son Histoire de la guerre des Albigeois, publiée en 1824.

L’affrontement a lieu aux beaux jours, pendant le siège de Marmande

Durant l’automne 1218, Raymond le Jeune, dans le cadre de la reconquête de ses terres, renforce les défenses de Marmande, et en confie le commandement au sénéchal d’Agenais Guillaume-Arnaud de Tantalon. Il rentre ensuite à Toulouse pour retrouver ses biens et sa famille, mais surtout pour refaire ses forces armées. De son côté, son père, Raymond VI, se livre à des manœuvres diplomatiques en Roussillon, auprès de la noblesse aragonaise et catalane.

Vers la fin du mois de décembre, la comtesse Alix, mère d’Amaury de Montfort, après les funérailles de son époux, revient de France accompagnée de son cousin Bouchard de Marly et d’une soixantaine de chevaliers qui viennent de prendre la croix, et prêts à en découdre avec des Méridionaux en rébellion. Avec ce renfort, Amaury met le siège devant Marmande au début de l’année 1219. La ville attaquée par voie de terre et par voie fluviale (Garonne), se défend bien avec l’aide de nombreux seigneurs venus à sa rescousse. Devant cette résistance, Amaury de Montfort préfère attendre de nouveaux renforts, et notamment l’aide du roi de France. Les Marmandais, affamés, attendent durant tout l’hiver, le regard tourné vers le comte de Toulouse, leur protecteur.

Aux beaux jours, au mois de mai, ayant rassemblé à Toulouse une armée suffisamment nombreuse, Raymond le Jeune se prépare à secourir Marmande. Sur le point de partir, un messager lui annonce que le comte de Foix est bloqué par une armée de croisés et qu’il est assiégé dans Baziège avec son convoi de bœufs, vaches, juments, brebis, moutons et autres bêtes prélevés dans le Lauragais, qu’il conduisait à Toulouse. Raymond le Jeune vole immédiatement au secours de son allié, avec toute son armée sur le pied de guerre.

Un combat aux portes de Baziège

Pour attendre les renforts, le comte de Foix s’est retranché avec son armée et son butin dans Baziège ; le village est installé en bord de rivière, sur la rive droite de l’Hers. Les croisés tiennent la rive gauche ; ils ont installé leur campement en face de Baziège, au plus près du rivage pour surveiller les allées et venues des Méridionaux, à l’abri du cours d’eau.

À l’époque médiévale, l’Hers dessine de multiples et vastes méandres libres dans une plaine, étroite et boisée, comme le montre encore le dessin de François Andréossy et Jean Cavalier en 1665, pour illustrer le projet de canal de Riquet (Fig.2). Le creusement du lit artificiel rectiligne, destiné à limiter les risques d’inondation, commencé en 1710 ne fut achevé que vers 1750 (Fig.3). Selon le dessin d’Andréossy et de Cavalier, le village de Baziège est installé sur la rive concave (rive externe) d’un vaste méandre, de près de sept mètres de longueur et de trois cents à quatre cents mètres d’amplitude. Ce dessin fait aussi apparaître les pountils, permettant le passage de la voie surélevée pour franchir la zone inondable en direction de Montgiscard (Fig.4). Le village a profité de la proximité de la rivière pour se doter de fossés remplis d’eau, sortes de douves, pour protéger le cœur de l’agglomération, probablement ceinturé d’un rempart en terre crue, peut-être une paret en terre crue massive protégée par un manteau de briques cuites.

La carte du canal royal de Garipuy de 1774, montre une zone humide entre l’Hers rectifié et Baziège, très proche du village (Fig.5). Le petit affluent qui longe l’agglomération dans cette zone est le ruisseau des Espaces. Ce petit ruisseau qui coule à l’emplacement des actuelles allées Paul Marty (ancien foirail), drainait le pied du coteau, et les fossés du village. Ce ruisseau des Espaces a été busé et recouvert, pour aménager la voirie et construire la coopérative agricole. La zone humide indiquée sur la carte de Garipuy, pourrait correspondre au vaste méandre mentionné sur la carte de 1665 d’Andréossy et de Cavalier (Fig.2), au bord duquel était installé le village.

Les croisés ont établi leur campement en face de Baziège, de l’autre côté de l’Hers, probablement dans un méandre de la rivière de plusieurs hectares, emplacement actuellement occupé par l’école maternelle et les terrains de sports (football, tennis). Le champ de bataille a pu s’étendre jusqu’aux lieux-dits Las Puntas, La Boulbène et Les Landes.

Des forces en présence considérables

Du côté des Méridionaux, il y a le comte de Foix Raymond- Roger, âgé de soixante-quatre ans et ses deux fils, Roger-Bernard et Loup de Foix, de grands seigneurs comme Guilhem-Bernard d’Arnave et Bernard-Amiel de Pailhès ainsi que de nombreux faydits, des seigneurs occitans dépossédés de leurs terres : Isarn Jourdain, Chabert de Barbaira, Guillaume de Niort, Aimery de Clermont et Raymond-Arnaud Delpech (ou du Pech), Jourdain de Cabaret, Robert de Tinhes et ses Carcassonnais. Aux côtés de Raymond le Jeune, unique héritier de la dynastie toulousaine, qui a vingt-deux ans, il y a sa garde personnelle ou mainade (mesnie) constituée d’une quinzaine de compagnons prêts à se sacrifier pour le protéger ; Arnaud de Villemur, grand seigneur vassal, porte sa bannière et veille sur lui. Dans l’armée de Raymond le Jeune, il y a aussi les chevaliers et la milice communale de Toulouse, ainsi que des bandes de routiers espagnols avec leurs capitaines. Bernard IV, comte de Comminges, âgé de quarante-trois ans, aurait été là, lui aussi. Dans le camp des croisés flottent les bannières d’Alain de Roucy, de Foucault de Berzy ainsi que celle d’Hugues de Lacy, qui avait reçu la seigneurie de Castelnaudary et de Fanjeaux au lendemain de la bataille de Castelnaudary en 1211. Plusieurs vétérans de la croisade, comme Jean de Berzy, frère de Foucault de Berzy, Thibaud de Nonneville et Sicard de Lautrec sont aussi présents. Des chevaliers moins connus, comme Jean de Bouillon, Amaury de Lucy, Evrard de Torlet et Jean de Monceaux sont là également. Quelques seigneurs occitans transfuges, qui ont profité de la croisade pour régler des comptes personnels ou agrandir leurs territoires, combattent aux cotés des croisés : Jean de Lomagne, Sicard de Montaut, Pierre Guillaume de Séguret et surtout le vicomte Sicard de Lautrec, qui avait misé sur les Montfort pour retrouver son indépendance vis-à-vis de Raymond VI.

Harangue des troupes – Dès son arrivée, Raymond le Jeune accompagné de sa garde rapprochée tient conseil avec le comte de Foix. Pressé d’en découdre, il harangue ses troupes disant, selon la traduction des vers de la Canso par Henri Gougaud :

« Aux armes, chevaliers ! C’est l’instant d’être braves !
Que nul n’ait parmi vous à rougir de ce jour !
Par la Vierge Marie qui porta Jésus-Christ,
S’ils veulent là dehors tâter de la bataille,
Ils vont être servis ! »

L’entourage de Raymond le Jeune tente d’endiguer sa fougue et de lui faire comprendre qu’il n’a pas à risquer sa vie dans un affrontement où les adversaires sont de trop bas lignage, Amaury de Montfort n’étant pas du combat. Sa mort serait une véritable catastrophe pour la cause occitane. Après de longs pourparlers, Raymond le Jeune accepte de laisser la conduite du premier assaut au comte de Foix avec ses gens. Pierre Navarre, craignant toujours pour la vie de Raymond le Jeune, donne d’ultimes conseils à sa garde rapprochée :

« Seigneurs, francs chevaliers, dit Pierre Navarre,
Protégez de tout coup le comte Raymondet
Car de la fleur d’honneur il est dépositaire.
S’il lui venait malheur, tout espoir périrait.
« 

Les différentes composantes de l’armée des Méridionaux sortent de Baziège et se dirigent avec détermination vers les croisés, pour se ranger en ordre de bataille. Foucault de Berzy sort de son campement, et s’approche de la berge pour suivre le mouvement de l’ennemi et évaluer ses forces. Bien que surpris par l’importance de l’armée occitane, Berzy décide de l’affronter plutôt que de repartir vers Carcassonne en abandonnant son butin. La crainte gagne alors les rangs des croisés.

« Un instant, messeigneurs. Je connais bien ces gens,
Dit le vicomte de Lautrec. A mon avis,
Accepter le combat serait déraisonnable. »

« Vicomte, dit Thibaud, partez si vous voulez.
Nous restons. Pour ma part je nous donne vainqueur.
« 

La discussion est close. Il est grand temps d’agir. Les chevaliers se rangent en ordre de bataille.

Rangées en ordre de bataille, les deux armées, maintenant toutes proches, ne sont séparées que par « un ruisselet sans pont, ni planche », l’Hers. Les Occitans prennent l’initiative de l’attaque et choisissent le meilleur endroit pour franchir la rivière.

Un combat épique

De part et d’autre les trompes résonnent dans la plaine. Les croisés, sur la défensive, attendent l’assaut. Parfaitement unis et coordonnés, les Occitans vont développer une tactique d’attaque originale en trois phases, que Raymond VI n’avait pu imposer au très fougueux roi d’Aragon, lors de la bataille de Muret en 1213.

La cavalerie légère du comte de Foix est la première à franchir la rivière et à attaquer le camp des croisés. Très mobile, constituée d’arbalétriers, et de percussores, des frappeurs armés de frondes et de javelines, cette cavalerie encercle les croisés dans leur retranchement ; une volée de pierres, flèches, carreaux d’arbalète et javelines s’abat sur les croisés, statiques et alourdis par le poids de leur armure. La tactique de harcèlement et d’affaiblissement de l’adversaire, dans cette première phase du combat, fait subir d’importantes pertes aux croisés.

Dans la deuxième phase, sans laisser de répit à l’adversaire, c’est la cavalerie lourde du comte de Foix qui charge les croisés. Raymond le Jeune suit de près avec sa cavalerie lourde. Commence alors une grande et sanglante mêlée entre des Occitans en grand nombre et des croisés cernés de toute part. La Chanson de la croisade raconte cette mêlée, en insistant sur la bravoure du jeune comte.

« Le comte Raymondet surgit, impétueux
Comme un lion royal au-devant de ses hommes.
Emporté droitement par son palefroi noir,
Le front bas sous le heaume et la lance dardée,
Il charge au plus épais de l’ardente mêlée. »

Jean de Berzy veut barrer la route de Raymond le Jeune, mais celui-ci le frappe si fort de son épieu qu’il lui fend le haubert, le pourpoint, la tunique, le fait tomber de cul, et passe son chemin en criant « Cognez donc, chevaliers de Toulouse ! Tranchez, trouez, tuez, sus à ces étrangers ! ».

Jean de Berzy, à nouveau sur ses pieds, reprend le combat, épée à la main. Le Jeune comte retourne dans la mêlée, frappe et frappe encore, protégé bravement par sa mesnie. Pour les croisés, seule l’élimination du jeune comte peut être à même de renverser la situation, comme cela avait été le cas à Muret avec la mort du roi d’Aragon. Pierre-Guillaume de Séguret fonce sur Raymond le Jeune et d’un coup d’épée tranche les courroies qui tiennent son haubert et brise sa ceinture en rugissant « Tous sur lui, chevaliers ! ». Raymond le Jeune ne bronche pas, autour de lui et de sa mesnie, les corps à corps s’engagent, « dans un tumulte épais de ferraille et de cris ».

Dans la troisième phase, les fantassins de l’armée occitane, piétons de la milice toulousaine et routiers de Navarre, déferlent en rangs serrés sur les Français, se mêlent aux combattants, désarçonnent barons et chevaliers, égorgent les blessés à terre : c’est un carnage.

Devant cette débâcle, le vicomte de Lautrec, Hughes de Lacy et d’autres s’enfuient avec leurs gens et se sauvent « par le secours d’une fuite sur leurs chevaux rapides ». Pierre Guillaume de Séguret est aussitôt pendu comme traître. Foucaud de Bercy, Jean de Berzy et Thibaud de Nonneville, faits prisonniers, sont conduits à Toulouse et enfermés au Château Narbonnais pour être échangés contre des Occitans : Jean de Bercy, transféré à Niort, au pays de Sault, sera échangé contre Bernard-Othon de Niort, tombé aux mains des croisés. Leurs autres compagnons sont tous morts sur le champ de bataille.

C’est la première défaite en rase campagne de la chevalerie française, obtenue par la tactique préconisée par Raymond VI à Muret : affaiblir d’abord les croisés avec des troupes légères munies d’armes de jet. Raymond le Jeune revint le jour même à Toulouse, auréolé d’une glorieuse victoire. Amaury de Montfort furieux de la défaite, se vengea sur Marmande sans plus attendre, par crainte que l’armée des Occitans victorieuse ne vienne délivrer les assiégés.

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