Jean Fontés nous reçoit chez lui à Verfeil, dans la maison qu’il a construite de ses propres mains, entre tant d’autres choses… S’il confesse ne pas se souvenir de l’époque où ses enfants, aujourd’hui trentenaires, partaient à l’école, c’est que durant toute sa vie il a été accaparé par sa vie professionnelle et de nombreux projets personnels. Une fois à la retraite, le besoin de revenir sur son enfance se fait pressant tout comme l’envie de raconter le quotidien de ses parents et de sa famille dans la campagne lauragaise. 10 ans plus tard, Jean Fontès publie à son compte « Paysans du Lauragais, fils de paysan métayer », un ouvrage hommage au courage de ses parents, écrit afin que ses enfants gardent en mémoire ce pan de l’histoire familiale.
Une famille de métayers dans le Lauragais des années 50
Jean Fontés est né en 1953 à Cambiac. Ses parents, comme les leurs avant eux, y étaient métayers. Tous les 4 ou 5 ans, Odette et Elie, comme tant d’autres métayers, changeaient de ferme dans l’espoir d’un quotidien moins âpre. A la recherche de revenus complémentaires qui leur permettraient de subvenir aux besoins de leur famille, ils choisissaient des fermes plus grandes sur lesquelles les aînés en âge de travailler pourraient prêter main forte. D’abord métayers à Lux, Elie et Odette ont rejoint Cambiac, puis Montesquieu-Lauragais et enfin Auriac-sur-Vendinelle. C’est là que Jean Fontès a passé sa jeunesse à partir de l’âge de 5 ans jusqu’à ses 18 ans. Jean se souvient que l’on y pratiquait, ici et alentour, la polyculture et que dans chaque ferme, on trouvait un petit élevage de veaux élevés sous la mère.
Extrait « Paysans du Lauragais, fils de paysan métayer »
« Enfant de paysan contemporain de cette mutation fondamentale de la fin des années 50 aux années 70, je me suis imprégné des odeurs acres de la ferme, de celles subtiles et variées de la campagne. J’ai communié à l’histoire et aux coutumes des hommes et des femmes. (….) La communauté villageoise, la nature généreuse et offerte, balisaient mon quotidien. Elles m’ont bercé. J’en garde, plus de cinquante ans plus tard, un savoir-faire qui trahirait encore mes origines. Prends une fourche, je te dirai d’où tu viens. »
Le propriétaire : une figure patriarcale
Lorsque Jean Fontés évoque le propriétaire du domaine sur lequel travaillaient ses parents, il se rappelle du coup de sang qu’il a eu à l’âge de 14 ans. De la fratrie – Jean a 3 frères et 2 sœurs -, c’est sans doute celui qui a le plus durement ressenti le labeur de ses parents. En l’espèce, la figure tutélaire est un général à la retraite ayant hérité de sa belle-mère. Il quitte ses appartements parisiens une fois par an pour visiter et contrôler ses métayers dans le Lauragais. Comme beaucoup de propriétaires à cette époque, il a reçu des terres en héritage dont il entend tirer profit, il faut bien le dire, au détriment de ses métayers. En général, les propriétaires de ces domaines étaient des notables, des aristocrates ou de riches commerçants du village. Parfois, la gestion des différentes fermes d’un même domaine était confiée le reste de l’année à un régisseur qui bénéficiait de connaissances agricoles et était chargé de choisir les cultures ou de vendre le bétail. Les revenus des familles de métayers restaient limités, la moitié des fruits de leur travail, au minimum, revenant aux propriétaires des fermes. A Auriac-sur-Vendinelle, chaque été au moment des moissons, l’ancien général visitait ses troupes et comptait les sacs de blé récoltés un à un par la famille. Il marquait chacun d’eux d’un bâton minutieusement sur une feuille de papier, puis les comptait par dizaine. Certains soirs, pour être sûr de son compte, alors que la famille arrivait au bout d’une journée de moisson harassante, il décidait de refaire les comptes afin d’être certain de ne pas avoir oublié le moindre sac… C’est à l’issue de l’une de ses journées que Jean Fontès fit part de sa colère à son père, plus résigné que lui à accepter son sort de métayer. La famille Fontès a par la suite essayé d’améliorer son quotidien en démarrant la production de tabac et l’élevage d’oies mais le vent d’autan a eu raison de la première récolte…
L’entraide malgré tout
Ses meilleurs souvenirs d’enfance, Jean Fontés les puise dans les moments partagés entre voisins. Dans ces conditions difficiles, l’entraide allait de soi. L’année à la ferme était rythmée par les corvées chez les uns puis chez les autres. Le dernier jour des moissons, on partageait par exemple tous ensemble un repas auquel était bien sûr convié le propriétaire. Au quotidien, dans chaque maison, les voisins faisaient une halte, partageaient un moment ou un repas. Ces moments de convivialité, sans condition, adoucissaient un quotidien difficile mobilisant chaque jour toutes les forces physiques de la famille. C’est également entre voisins que l’on s’aidait à dissimuler un peu de blé pour payer le boulanger et la consommation de pain de l’année. Autre bonne pratique de rigueur : lors des vendanges, on tassait davantage le raisin dans les comportes destinées au métayer !
Ma mère, ce héros
À propos d’Odette, Jean Fontés ne sait trouver de mots assez forts pour décrire son dévouement d’épouse de métayer et de mère. Il se souvient de ces quelques pièces où elle mettait tout en œuvre pour rendre les conditions de vie plus supportables pour ses enfants, en dépit de l’absence de chauffage et d’eau chaude… L’hiver, Jean confesse qu’il faisait très froid dans la vielle masure ouverte aux quatre vents. Il se rappelle que malgré l’état déplorable de la toiture, le propriétaire attendit la dernière extrémité pour faire réaliser des travaux. C’est dans cette bâtisse que chaque matin d’hiver, elle réchauffait les vêtements de ses enfants avant de les habiller dans leur lit. Elle les accompagnait ensuite à l’école en parcourant à leurs côtés les 4 km qui les en séparaient avant de s’en retourner et d’accomplir les mille corvées qui l’attendaient à la ferme. Toute sa vie, Odette est demeurée cette femme courageuse, soucieuse d’accomplir sa part afin de préserver ce qu’elle avait si durement acquis.
Pisani : un nouveau départ pour l’agriculture
Le ministre est resté dans l’histoire pour son chantier de modernisation de l’agriculture française. Il entend privilégier les travailleurs de la terre et leur donner la possibilité d’accéder à la propriété. Bientôt, c’est l’heure du remembrement mais aussi de la création du contrat de fermage qui leur sera plus favorable et du développement des coopératives. C’est dans ce contexte que l’ancien général vend ses fermes une à une. Entre temps, Jean et ses frères sont partis travailler sur des chantiers de travaux publics à Toulouse, celui de l’hôpital Lagrave notamment. Chacun gagne 2,80 francs de l’heure et retire ce que leurs parents n’ont jusqu’alors jamais osé espérer : un salaire. S’ils sont utiles pour améliorer le quotidien, installer une douche en 1972 et permettre aux plus jeunes de poursuivre leurs études, ils ne seront pas suffisants pour racheter la ferme. Les Fontès doivent quitter Auriac-sur-Vendinelle.
Une vie de métayer, et après ?
Jean assiste impuissant aux interrogations de ses parents. Fils et petit-fils de métayers, Elie et Odette se demandent bien où l’on voudra d’eux. Finalement, c’est l’un de leurs fils qui forcera le destin. Par son entremise, le père de Jean est embauché aux Ponts et Chaussées de Revel. A cette époque, on recrute des agents communaux dans chaque canton et Elie est finalement nommé à Verfeil. Le temps de la transition, Odette prend en charge seule la ferme et liquide les affaires courantes avant de quitter définitivement la ferme. Tous deux seront finalement employés par la mairie de Mondouzil pour tenir un dépôt de gaz, entretenir la salle des fêtes et certains bâtiments publics. À 50 ans, ils perçoivent tous deux leurs premiers salaires et bénéficient d’un logement de fonction confortable. C’est une nouvelle vie qui démarre bien loin de leur quotidien de métayers.
La vie d’après
Alors que ses parents découvrent les joies des congés payés, Jean Fontés, endurci par les renoncements dont il a été le témoin, poursuit son chemin. Son instituteur avait déploré l’arrêt de sa scolarité après son certificat d’études mais il ne pouvait pas en être autrement, Jean devait travailler. Alors qu’il reçoit ses congés payés, réglés par mandat, de la main du receveur de Poste, ce dernier l’informe que la Poste organise un concours auquel il devrait se présenter. Quelques mois plus tard, Jean débute son métier de « préposé auxiliaire » à la grande Poste du 8ème arrondissement de Paris. Il y effectue toutes les tâches qu’on veut bien lui confier, de jour comme de nuit. Mais, à cette époque, les distractions parisiennes ne tentent pas l’enfant du Lauragais et sur son temps libre, il aide à la construction de logements à Beauvais. Il rejoint finement le Sud-Ouest où il doit effectuer son service militaire et profite de cette période pour accéder à des formations. A sa sortie, après un nouveau passage à la Poste à Toulouse, il obtient un concours au sein de la Direction Départementale de l’Equipement (DDE), où il fera toute sa carrière avant de la terminer au sein du Conseil Général de la Haute-Garonne en tant qu’agent de maîtrise.
La petite et la grande histoire
Comme souvent dans ce type d’ouvrage, la petite histoire rejoint la grande. C’est pour rendre hommage au courage de ses parents et aux générations de métayers qui se sont succédées jusque dans les années 1970 que Jean Fontés s’est attelé à l’écriture de ce recueil. Débuté, il y a 10 ans, il a eu le plaisir d’échanger à son propos avec sa mère, mais c’est également ce défi qui l’a poussé à acquérir des compétences informatiques. Près de 50 ans après avoir quitté la ferme de son enfance, Jean Fontés n’a pour l’instant pas osé y revenir. Peut-être ses enfants, pour qui il a écrit son histoire, l’aideront-ils à fouler le sol de cette tranche de vie qui ne tombera plus dans l’oubli ?
Extrait « Paysans du Lauragais, fils de paysan métayer »
« Dur quand on voudrait dire tant de choses à son père qui ne dit rien, qu’on souhaiterait tant se confier à sa mère mais qui n’est plus là pour entendre et comprendre. Cinquante ans plus tard, je me souviens et je raconte la fierté des racines et de mes origines. Plus d’un revivra la même tentation d’échapper à ses frustrations sociales, affectives, sensuelles, à rompre les tabous. Ils se retrouveront aussi dans la joie, les rires et les jeux. »