Lucienne Blanc : la fine charcutière fête ses 100 ans !

Il est des gens dont la réputation les précède de loin. Lucienne Blanc, patronne de l’ancienne charcuterie Blanc, véritable institution revéloise qui a porté haut et loin les couleurs de notre gastronomie, est de ceux-là. Couleur Lauragais vous emmène à la rencontre de cette figure de la vie locale qui fête cette année ses cent ans. Elle a accepté de nous conter l’aventure de sa vie et de nous livrer la recette de son succès et de sa longévité. Au travers de ce destin singulier, de la dure vie des gens de maisons dans la campagne audoise des années vingt, jusqu’à nos jours, c’est un siècle d’histoire qui se dessine. Portrait.

Lucienne fête cette année ses cent ans, et elle n’en est pas peu fière. « Je suis née à Nevian, un village de l’Aude près de Narbonne, le 3 octobre 1922 » assène-t-elle, d’une voix ferme et enjouée, l’œil vif et rieur. Ses parents officiaient en tant que valets dans le Narbonnais. Elle perd son père très jeune, à l’âge de 2 ans, dans un accident de vendanges, écrasé par une charrette. Désormais seule avec une enfant à charge, sa mère se place comme cuisinière au service d’une famille de grands propriétaires viticoles du Canet d’Aude. Durant 10 ans, la petite Lucienne est élevée par sa grand-mère maternelle, non loin de là, à Ornaisons, entourée de ses cousins. Lucienne raconte alors tout un monde évanoui, dans cette campagne audoise où les adultes travaillent dur pour gagner leur vie… et leurs enfants aussi, parfois. Pour arrondir les fins de mois, la fillette et sa cousine sont louées pour travailler aux vendanges, un mois durant. Elles ont alors 9 et 10 ans… Dans la France rurale d’avant-guerre et les campagnes d’Occitanie, c’est encore un peu le XIXe siècle.

Une jeunesse revéloise

A l’âge de 11 ans, Lucienne quitte l’Aude de son enfance pour rejoindre le Lauragais. Sa mère a décidé de la mettre en pension à la Providence à Revel, chez les bonnes-sœurs. Une éducation religieuse à la dure, dont notre centenaire n’a manifestement pas conservé un bon souvenir. « Je n’ai rien appris du tout, on faisait des prières, des prières, des prières… » se remémore-t-elle, levant les yeux au ciel. À 14 ans, elle obtient son certificat d’étude. S’en suivent 3 ou 4 années de formation à la couture, dans ce que l’on appelle alors un ouvroir, lieu géré par des religieuses où les jeunes filles sont formées aux travaux d’aiguille. Sa mère pendant ce temps, exerce ses talents de cuisinière auprès d’une famille de médecin de Revel. À sa sortie de l’ouvroir, la jeune fille se fait engager par une amie dans une fabrique de plumeaux en plumes d’autruche, où elle sera salariée pendant 12 ans. La vie de Lucienne comme celle de sa bande de camarades, est alors rythmée par le travail, les messes et les bals les week-ends et jours fériés. Cette jolie jeune femme pétillante, est de nature enjouée. Elle adore chanter, danser et plaisanter, ce qui lui vaut un certain succès auprès de la gent masculine. Dans les années 36-37, c’est à la grande fête de Revel qu’elle rencontre René, jeune Revélois établi avec sa famille dans le commerce de cochons. En 1939, la guerre éclate et sépare les tourtereaux. René est envoyé en Allemagne au STO. Les jeunes gens s’étant promis l’un à l’autre, ils s’écrivent pour tromper l’attente, jusqu’à la fin de la guerre. Le couple se marie en 1946, et s’installe à La Farguette, la maison familiale des Blanc. Leur fille unique naîtra en 1951.

La charcuterie

En 1952, un ami de la famille, propriétaire d’une charcuterie réputée à Revel, en âge de prendre sa retraite, propose au jeune couple de reprendre son commerce, situé rue de Dreuilhe à Revel. L’opportunité séduit le jeune couple. Pendant 6 mois, Lucienne et René apprennent sur le tas les secrets de la bonne charcuterie, accompagnés par le cédant, Monsieur Salvage. C’est le point de départ de l’histoire de la charcuterie BLANC, une véritable institution, dont la réputation franchit bien vite les frontières de la ville et du département.

Charcuterie artisanale à l’ancienne

René officie dans le laboratoire à l’arrière de la boutique, élaborant avec l’aide d’un employé les produits maison : bonne saucisse, fritons, boudin noir, melsat (nom local du boudin blanc), un pâté succulent, des pieds panés, des jarrets confits pour la soupe au chou, des jambonneaux…Tout ce que l’on peut trouver dans une bonne charcuterie traditionnelle, en somme. Chez Blanc, on ne fait pas dans l’original à tout prix, mais dans le bon et la qualité. René et Lucienne pratiquent le bio et le circuit court avant l’heure : les bêtes sont soigneusement sélectionnées par un commissionnaire chez des petits éleveurs du coin. René se déplace en personne à l’abattoir pour surveiller les opérations et s’assurer de visu de la qualité de la viande, et que les bêtes sont saignées et découpées dans les règles de l’art. Les recettes, immuables, sont artisanales, et les petits secrets de fabrication maison jalousement gardés. Les boîtes de conserve de pâtés et de fritons, empilées en pyramides en devanture du magasin, se vendent comme des petits pains. Une maison petite en surface, mais grande par la qualité des produits et de la réputation, résume le gendre de notre centenaire.

Travailler en chantant

Une bonne réputation à laquelle Lucienne a, à sa manière, largement contribué, campée derrière son comptoir, accueillant la clientèle avec sa gaieté et sa bonhommie naturelles. « J’étais bien avec les clients. Je plaisantais, ils me racontaient leurs petites histoires, et je chantais avec eux tout en vendant ma saucisse… ».

La boutique résonne alors des airs des vedettes du moment, Tino Rossi, Charles Trénet, Serge Lama, sans oublier les airs d’opérette précise l’intéressée, entonnant, ni une ni deux, la Belle de Cadix de Luis Mariano, a capella, d’une voix bien assurée.

À sa mine réjouie, et aux rires qui ponctuent ses propos, on devine les années de bonheur, aux manettes d’une vie professionnelle bien remplie. Car le métier n’est pas de tout repos. Pendant 10 à 15 ans, le commerce ouvre 7 jours sur 7. C’est relâche uniquement les vendredis et dimanches après-midi. Puis, le succès aidant, le couple s’accorde un congé annuel, passant le mois de septembre au Lavandou. Et tant pis si les clients ne sont pas contents, ils sont chaque année plus nombreux au rendez-vous de la réouverture. Chez Blanc, on ne craint pas la concurrence. Même l’arrivée des supermarchés dans le Lauragais dans les années 70, qui aura raison de beaucoup des petites épiceries de Revel, n’entamera en rien le succès de la charcuterie.

Connue comme le loup blanc

Lucienne, c’est 30 ans d’une vie de charcutière, à se régaler derrière son comptoir tout en régalant sa clientèle. « Vous savez, on était très renommés, dit-elle fièrement, célèbres jusqu’à Paris ! ».

Outre la clientèle locale, une clientèle citadine d’habitués, issue de Toulouse et Paris notamment, en villégiature à Revel, passe de grosses commandes à la fin des vacances, pour faire le plein de bonnes spécialités charcutières et les ramener chez eux.

Le bouche-à-oreille aidant, Lucienne est appelée des quatre coins de France pour des envois de colis, faisant de la Maison Blanc un pionnier de la vente à distance de charcuterie ! Et, quand on lui demande la recette de cet extraordinaire succès, Lucienne répond sans hésiter et en toute simplicité : la qualité des produits et savoir bien accueillir ses clients, pour qu’ils aient envie de revenir.

Une retraite bien méritée

En 1982, après 3 décennies de bons et loyaux services, le couple décide de raccrocher les couteaux, la boutique est mise en gérance. René décède peu de temps après, et l’affaire de sa vie ne lui survivra pas bien longtemps. Devenue veuve, Lucienne ne se laisse pas abattre. De santé robuste et entraînée par son naturel gai et optimiste, elle peut enfin donner libre cours à sa passion pour le chant et la danse, avec le club du troisième âge de la Ville. Elle participe aux bals et aux thés dansants et devient un pilier de la chorale, qui se produit parfois dans les environs. Elle s’investit aussi beaucoup auprès de ses deux petits-enfants, qu’elle chérit tendrement et qui le lui rendent bien.

Aujourd’hui, l’âge aidant, l’univers de Lucienne s’est rétréci, mais elle pousse encore volontiers la chansonnette, et continue à s’occuper elle-même de ses fleurs, pestant contre la sécheresse estivale qui a entravé la floraison. L’esprit toujours alerte, elle aime aussi lire des romans et faire des mots croisés.

Du dehors, les témoignages d’amitié et les échos de sa renommée continuent de lui parvenir, par sa fille, son gendre et les personnes qui lui rendent visite. « Comment va la charcutière ? Passez-lui bien le bonjour ! ». Si toutes les personnes de Revel qui me connaissent m’apportaient une fleur pour mes cent ans, j’aurais un jardin magnifique ! » conclut Lucienne, espiègle.

Couleur Lauragais et tout Revel vous souhaitent un bon anniversaire, madame Lucienne !


Pâté Recette Blanc

Pour ses cent ans, Lucienne a tenu à nous faire un beau cadeau, en divulguant pour la première fois la recette du fameux pâté Blanc, dont vous avez peut-être eu l’occasion de vous régaler par le passé. À vos fourneaux !

Ingrédients :

  • 1 kg de foie de porc
  • 500 g de poitrine fraîche
  • 500 g de lard
  • 1 œuf par kg de viande (2 œufs en tout)
  • 21 g de sel
  • 2,5 g de poivre
  • 1 peu de fécule de pomme de terre

Le secret maison : pour remplir le bocal de conserve (ou boîte), trempez votre cuillère de remplissage dans du rhum

Cuisson : placer les bocaux fermés 1h30 à 1h45 au bain-marie ou ¾ d’heure à l’autocuiseur.

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