Claude Taffarello : le Lauragais au cœur

L’ancien restaurateur de Saint-Félix Lauragais est ce que l’on appelle « un passeur ». S’il a puisé son inspiration dans sa gourmandise d’enfant, c’est pour mieux transmettre la culture gastronomique du Lauragais, son attachement à ses producteurs et à ses habitants qu’il a eu tant de plaisir à régaler. Avant de poser ses valises à l’Auberge du Poids Public, l’enfant du pays a façonné ses talents de Chef cuisinier au-delà des frontières régionales. C’est là qu’il a parfait son art et rencontré son épouse Denise, avec qui il a formé pendant 30 ans un véritable duo professionnel. Désormais retraités, ils ont eu le bonheur de transmettre à leur fille Céline cette passion familiale.

Autour de l’âtre

Claude Taffarello grandit au Cabanial entouré de ses parents, de son frère, de sa sœur mais également de ses grands-parents et arrières-grands-parents. Comme dans la plupart des foyers à cette époque, toutes les générations cohabitent sous le même toit. Dans cette famille d’agriculteurs où la vie suit le rythme des saisons, chacun a un rôle bien défini. Chez les Taffarello, c’est l’arrière-grand-mère, Justine, puis la grand-mère, Julie qui, chaque matin, ont pour mission d’allumer le feu. Autour de la cheminée toujours allumée, l’enfant observe, hume, goûte avec un appétit jamais rassasié. À la ferme, les repas se succèdent et la table familiale accueille régulièrement les voisins venus participer aux corvées. Tue-cochon, battage, vendanges, les travaux agricoles sont ponctués de nombreux repas.

Parmi les saveurs que Claude Taffarello affectionne particulièrement, il y a d’abord le millas. À ce titre, il ne manque jamais une occasion de « faire la croûte ». Une fois le chaudron vidé, cette pratique consiste en hiver à y ajouter un peu de vin rouge et de sucre. L’hiver, Claude l’attend impatiemment pour se régaler d’autres préparations aujourd’hui disparues comme les beignets de cervelle de cochon. Il se rappelle que lors du tue-cochon, une fois la cervelle terminée, on faisait cuire des pommes auxquelles on ajoutait du rhum pour finir la pâte à beignets restante. On imagine la gourmandise de la préparation dont il confesse, dans un sourire, avoir usé un jour plus que de rigueur… Parmi ses « Madeleines de Proust », l’enfant du pays se souvient aussi avec émotion des œufs mollets cuits dans la cendre chaude : nul besoin de minuterie, lorsque l’œuf suait c’est qu’il était prêt ! Dans ses souvenirs d’enfance, il garde encore la saveur incomparable des soufflés au riz au lait et des gibiers abattus par son père et rôtis à la broche. Autour de l’âtre, mijotent souvent plusieurs préparations en même temps laissant tout le loisir au gastronome en culotte courte d’observer les femmes de la maison à l’œuvre.

Germain Agace : le mentor

Dans cette famille d’agriculteurs, il n’est venu à l’idée de personne de devenir cuisinier. Pourtant, dès l’âge de 13 ans, Claude Taffarello émet ce souhait. Peu convaincus, ses parents le présentent alors à Germain Agace, restaurateur à l’hôtel de la Lune à Revel. Ils espèrent secrètement que cet homme au caractère bien trempé suffira à détourner le jeune homme de ses envies de cuisine. Il n’en est rien, bien au contraire : entre le jeune commis et le restaurateur expérimenté, la mayonnaise prend. Loin de le détourner de ses rêves d’enfants, Germain Agace l’encourage dans cette passion commune. Malgré sa jeunesse, Claude devine qu’il a beaucoup à apprendre de ce disciple d’Auguste Escoffier. Du haut de son expérience et de son parcours, Claude Taffarello est aujourd’hui convaincu que Germain Agace était bien plus qu’une forte tête : un grand Chef. A ses côtés, il apprend une cuisine élaborée dans un fourneau à charbon, dans les conditions parfois inconfortables que l’on imagine. Pendant deux ans, Claude rejoint le restaurateur dès que ses horaires de lycée le lui permettent. Jour après jour sa vocation s’affirme. Pour autant, loin de capituler, ses parents l’envoient à Luchon, chez une connaissance de son mentor, pour « faire la saison ». Une fois de plus, le rythme de travail (4 mois sans un seul jour de congés) ne parvient pas à le détourner de sa passion…. Claude sera cuisinier.

Une formation aux allures de compagnonage

Soucieux de parfaire sa formation, le jeune homme souhaite préparer un CAP. Cependant les écoles hôtelières sont rares et le nombre d’admissions limité. Qu’à cela ne tienne, il passera son diplôme en candidat libre mais pour cela il lui faut une « maison ». Ses parents lui suggèrent alors l’Auberge du Poids Public à Saint-Félix Lauragais, proche du domicile familial. Claude y restera le temps nécessaire à la préparation du CAP qu’il obtient au bout de deux ans seulement. Son diplôme en poche, il quitte le Lauragais pour le nord de la France et initie une sorte de compagnonage. Il part se former loin de ses racines dans d’excellents établissements où il peaufine sa technique et cherche de nouvelles inspirations. Après un service militaire à Tahiti où il découvre la culture polynésienne et se délecte de sa gastronomie, il rejoint la métropole avec un appétit intact pour de nouvelles expériences culinaires. En chemin, il rencontre Denise qui deviendra son épouse et pour toujours sa « co-équipière ». Cette dernière travaille dans l’hôtellerie et lorsque leurs routes se croisent en 1976 au Bénélux, ils nourrissent tous deux l’ambition d’intégrer une « grande maison ». Ce souhait se réalise quelques années plus tard au sein du restaurant de Roger Vergé, dans les Alpes-Maritimes. Le Chef est reconnu pour sa cuisine italo-provençale, mais plus que sa technique ou ses recettes, c’est sa vision de la cuisine qui va nourrir Claude Taffarello. Chez Roger Vergé, la cuisine est ouverte aux clients comme aux chefs voisins : Paul Bocuse, Chapel, les Frères Troisgros, Michel Guérard… Le temps du cuisinier caché derrière ses fourneaux est révolu, tous ont cœur de faire découvrir leur métier, valoriser leurs savoir-faire et partager leur vision d’une grande cuisine plus accessible. A proximité de la croisette, les médias et les célébrités se pressent dans l’établissement du Chef visionnaire qui est à l’origine des premiers cours de cuisine à destination du grand public. Cette expérience auprès de Roger Vergé accompagnera Claude Taffarello tout au long de sa vie professionnelle. À son tour, il se prêtera avec plaisir aux reportages et émissions à l’initiative de son ami Jean-Luc Petitrenaud, puis exercera son art en direct à la radio chaque samedi. C’est un fait, comme ses mentors, Claude Taffarello a l’ambition de transmettre plus que des recettes.

« Être petit chez soi »

Après 11 années passées sur la Côte d’Azur, le couple aguerri se met en tête d’ouvrir son propre établissement. Malgré les recherches infructueuses, il ne se décourage pas et finalement, c’est sur les terres natales de Claude que se présentera l’opportunité tant attendue. Lors de chaque congé annuel, ce dernier rend visite à Bernard Augé, son ancien maître d’apprentissage qui lui propose de reprendre l’Auberge du Poids Public. Cette fois-ci, les banques rassurées par les Curriculum Vitae bien remplis des deux candidats à la reprise, les suivent. En 1990, Claude Taffarello est enfin chez lui avec l’intention de proposer une cuisine personnelle. Avec son épouse, ils garderont en tête l’expression qui les a accompagnés pendant 30 ans : « Être petit chez soi ». Lorsqu’on sait la réputation que s’est construit par la suite l’établissement, on y comprend la volonté de proposer une cuisine bien à eux, authentique et généreuse, fidèle à un territoire reconnu pour sa richesse gastronomique.

L’Auberge du Poids Public

L’établissement a été créé en 1910 par la famille Gaxieu et tenue par Célestine. A sa création, il servait à héberger et à restaurer les conducteurs des premiers camions transportant la pierre de la montagne Noire vers Toulouse. Saint Félix Lauragais était alors un arrêt incontournable afin de faire le plein d’eau à la fontaine. Puis, pour les besoins des transporteurs, ont été ouverts par la suite un débit d’essence et un garage. C’est également là que la municipalité décidera de créer le poids public. Cette bascule publique sert alors à peser les récoltes, les vendanges, les animaux en partance vers les marchés… La pesée était réalisée par le peseur public, un officier assermenté relevant de la commune. C’est Bernard Augé qui reprend l’établissement en 1965 qui lui donne son nom actuel. Afin de garder vivante la mémoire de ce lieu unique dans le village, il sera conservé par Claude Taffarello et son épouse, puis leur fille.

30 ans de cuisine dans le Lauragais

S’il souhaite proposer une cuisine personnelle, Claude Taffarello a aussi l’ambition de réhabiliter des plats traditionnels du Lauragais, les saveurs de son enfance. En conséquence, il remet le millas à la carte et entend bien transmettre ses secrets de fabrication aux nombreux cuisiniers qu’il va former. Même ambition pour le cassoulet qui lui permet de défendre un terroir, ses produits, ses producteurs. Sa passion pour le Cassoulet, de la cassole fabriquée à proximité, jusqu’à sa recette qu’il affine, Claude Taffarello la raconte dans un livre.

Paru en 2019, l’ouvrage met en perspective cette pépite de la gastronomie locale et on y découvre que pour lui, le cassoulet n’est rien moins qu’un art de vivre. S’il nécessite le goût de produits locaux de qualité, il requiert également de la patience et du temps. Claude Taffarello est formel : cuisiner un cassoulet demande deux jours et demi ! Au-delà du cassoulet, il a également eu plaisir à cuisiner des produits locaux d’excellence : le veau, le foie gras, les volailles… Grâce à sa proximité avec les éleveurs et son boucher, il connaît tout de ces matières premières et tous sont liés par la même exigence et animés de la même passion pour le terroir. En 30 ans, Claude Taffarello a également régalé ses clients de pigeons du Lauragais, une spécialité qu’il ne s’est jamais lassé de proposer à sa table. Au terme d’une vie professionnelle bien remplie, le couple de restaurateurs a eu la satisfaction de transmettre son établissement à leur fille Céline, qui, épaulée de son compagnon pâtissier, écrit un nouveau chapitre de l’histoire de l’Auberge du Poids Public.

Des clients, une équipe

De l’aveu de Claude Taffarello, ces 30 ans au sein de l’établissement sont passés à une vitesse folle. Ce qu’il retient ce sont avant tout ses clients. S’il a apprécié le rayonnement de son établissement au-delà des frontières du Lauragais, il a été particulièrement touché par la reconnaissance des locaux. Il a eu le même plaisir à régaler les papilles des gourmets comme des néophytes, des adultes comme des enfants, des habitants du village comme des touristes de passage. Pour autant, Claude Taffarello tient à souligner l’importance de son équipe, en premier lieu de son épouse Denise, qui n’a jamais cessé d’œuvrer à ses côtés. Parmi les nombreux salariés qui ont entouré le duo pendant 30 ans, il y eut quelques piliers dont Jean-Pierre. Bien connu des clients de l’Auberge, le couple est reconnaissant au Maître d’hôtel et sommelier pour sa fidélité et son grand professionnalisme.

Chef cuisinier et collectionneur en série

Passionné par nature, Claude Taffarello se plaît à collectionner les objets qu’il affectionne. Ainsi, il possède par exemple près de 80 pierres à millas. Fabriquées en tuiles ou en pierre, elles étaient destinées à protéger la cuisinière de la chaleur du chaudron. Ces pièces anciennes étaient fabriquées par le maçon qui édifiait le toit de la maison et offertes à la famille. Souvent personnalisées, elles étaient ornées d’une date ou d’un dessin. Il s’est également pris de passion pour les cuisines d’enfants, répliques miniatures de vrais fourneaux. Avis aux collectionneurs : il n’en détient pas moins de 60 !

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