Une petite ville, Revel, est devenue célèbre par la valeur artistique de ses maîtres artisans du meuble d’art. Sa renommée lui valut le titre de «Capitale du Meuble d’Art» appelée même parfois par les visiteurs «le Versailles du Meuble». C’est en effet à la fin du XIXème siècle qu’Alexandre Monoury introduisit l’art de la marqueterie et de l’ébénisterie à Revel. Par la suite de nombreux ébénistes marqueteurs se mirent à fabriquer des meubles d’art, puis des copies de meubles de style français.
Cet artisanat du meuble d’art a connu des périodes fastes notamment dans les années 1920 et surtout durant les Trente Glorieuses (1945 – 1975), où elle faisait travailler de 500 à 600 ouvriers dans la ville de Revel. Mais depuis les années 1980 – 1990, les changements de mode et la concurrence nationale et internationale ont entraîné un déclin de cette activité essentiellement artisanale. Pour poursuivre leur activité, certains artisans font de la restauration de meubles anciens.
La genèse du projet de livre
En 2010, je prenais rendez-vous avec Pierre Monoury pour photographier et étudier les cadenas que la famille détenait depuis plusieurs générations ; cadenas présentés comme étant ceux des portes de Revel (je préparais alors une publication sur le système de fortifications de Revel).
Très rapidement, j’étais intrigué par une petite tablette en marqueterie pendue au mur du salon représentant sur un ring de boxe un vieil ange ailé assis sur une chaise et tricotant, et une jeune fille boxant face à un méchant homme agressif. La jeune fille symbolisait la patrie en danger, le méchant homme l’armée du Kaiser … À partir de ce moment, la discussion avec Pierre Monoury et son épouse présente changeait de thème, les cadenas devenant secondaires ; en revanche, tout mon intérêt se concentrait sur l’auteur de l’œuvre, Alexandre Monoury, qui introduisit l’art de la marqueterie à Revel. À l’évidence, la famille Monoury était détentrice de nombreux documents (photos, agendas, correspondance et papiers divers). Une première ébauche de l’arbre généalogique avait d’ailleurs été réalisée par la famille agrémentée d’anecdotes et de nombreux faits historiques.
J’analysai rapidement la situation : sur Alexandre Monoury nous n’avions que peu d’informations écrites ! Il était temps de sauver cette histoire pour l’avenir en la « sculptant » sur le papier ; c’est ce qu’a fait la Société d’Histoire de Revel en 2016 avec la monographie écrite par un collectif d’auteurs sur « L’industrie du meuble d’art à Revel » (222 pages). Nous présenterons dans cet article synthétique uniquement la mise en place de cet artisanat d’art dans notre ville.
Les origines de la famille Monoury
On retrouve en Bourgogne des traces de cette famille protestante. Avant la Révolution ses grands oncles et son grand-père sont au faubourg Saint-Antoine à Paris, chœur et dynamique de l’activité du meuble en France (en 1700 on y recensait plus de 500 menuisiers et 400 ébénistes).
Des voyages qui vont former le talentueux ébéniste
Notre pionnier revélois Alexandre-Siméon nait à Versailles le 18 mars 1837. Il entre dès l’âge de 11 ans en apprentissage à « l’École des Maîtres de la Manufacture Royale des Meubles de la Couronne » et aura pour professeur jusqu’à l’âge de 18 ans le grand ébéniste marqueteur Dubois. Après diverses péripéties (sauvetage de personnes lors d’incendie – guerre de 1870), il parcourt divers centres de production pour parfaire son art.
En 1871, il établit son premier atelier en Haute-Savoie à Annemasse où il fait la connaissance de sa future épouse Jeanne Claret. Le couple voyage ensuite beaucoup dans le cadre professionnel, Alexandre-Siméon va en Belgique, en Suisse et bien sûr en France en tant que maître compagnon. Il acquiert beaucoup de compétences et de dextérité. On le retrouve en 1885-1886 à Bordeaux et sa région où son épouse s’occupe de la vente des meubles. Le 28 février 1886, ils s’installent à Toulouse mais l’affaire ne marche pas très bien, sa femme tente bien de varier les points de vente.
Comme le « commerce de Toulouse n’était pas très bon », Jeanne décide de recommencer ses voyages pour vendre à Montauban, Castelsarrasin, Lectoure et Carcassonne. Au cours de l’année 1888, certainement séduits par le site et le climat qui convient parfaitement à Mme Monoury (elle avait des problèmes de santé), la famille Monoury s’établit (à une date précise inconnue) à Revel. Dès lors le couple organise un atelier de meubles en 1889, mais les débuts sont difficiles ; ils s’improvisent antiquaires en vendant de temps en temps des objets de valeur qui leur permettent de vivre. Cette année-là ils ont 12 commandes dont 5 commodes Louis XVI, 1 table-bureau Louis XV, des coffres dans le style gothique flamboyant, des bureaux « Victor », des bahuts et encoignures.
Le succès de l’entreprise
À Revel il existe déjà à cette époque des fabricants de meubles en bois « communs » et rustiques que l’on appelle des « gabarrous » (terme un peu péjoratif dans le métier). Il y a du « savoir-faire » et lorsque les affaires de Monoury s’améliorent un peu par la vente de mobilier il recrute et forme à l’art plusieurs ouvriers.
Début XXe siècle, quinze ouvriers travaillent dans l’atelier démontrant ainsi la réussite de l’entreprise (durant l’année 1904 il avait 259 clients). Les meubles sont fabriqués sur commande, il existe un catalogue et par les archives de la famille nous savons que Mme Monoury envoyait du courrier dans toute la France.
Les meubles de style fabriqués
Excellent ouvrier (il a eu de très bons enseignants), il sait dessiner, concevoir et fabriquer un meuble et qui plus est, copier exactement un meuble ancien ! Cela se fait sans outil mécanique (en 1914 toutefois il commencera à se « mécaniser ») selon les techniques conçues par le célèbre marqueteur Boulle (XVIIe – XVIIIe siècles).
De plus il a le caractère pour être chef d’entreprise. La clientèle est aisée et paye « rubis sur l’ongle » (des généraux, des familles nobles, de grands négociants). Les modèles proposés deviennent de plus en plus variés : tables, poudreuses, coiffeuses, « bonheurs-du-jour », guéridons, buffets, etc. Un réel engouement s’opère pour les productions de Monoury. Les meubles sont expédiés par la gare de Revel, le bois local vient des villes environnantes productrices de grumes, l’acajou arrive par le port de Marseille, colle et vernis sont fournis par Lyon, des caisses de marbre sont aussi réceptionnées …
À Paris, les grands magasins s’arrachent les productions revéloises : les Magasins Généraux, les Galeries Lafayette, les galeries Herzog, les établissements Kahn, le Bon Marché et à Lyon le Grand Bazar. Ce sont des wagons complets de meubles qui partent de Revel. Le Louvre achète même en 1904 quatre commodes, un bureau Marie-Antoinette et un « Bonheur du Jour ». Les années justes avant le premier conflit mondial, le « meuble Monoury » s’exporte à l’étranger : Jersey, Belgique, Autriche, Hongrie, Allemagne, Angleterre et l’Amérique avec le Canada. Avec le succès de cette production, les ouvriers formés par Monoury créent leur propre entreprise, ils deviennent à leur tour patron avec l’assentiment du « patriarche ». D’ailleurs Monoury qui a mécanisé son atelier (machine à vapeur, scie circulaire…) propose ses services aux autres ateliers « pour la façon du gros œuvre ».
Le départ du patriarche
Le 4 juin 1926, à l’âge de 89 ans, Alexandre Monoury décède suite à des problèmes respiratoires. Sur l’agenda de la famille on peut lire à cette date : «décès du patron, tous ses ouvriers sont montés lui faire un dernier adieu ; tout Revel prend part à notre douleur ; la pièce est pleine de couronnes, les pleurs et regrets ne manquent pas. »
La crise de l’artisanat (1975 à nos jours)
En 1975, l’évaluation du Président du Syndicat du Meuble donne 700 ouvriers (une autre source donne 60 entreprises artisanales pour 350 personnes). Le ralentissement des affaires économiques commençant avec le « premier choc pétrolier » (1973 – 1974), les conditions de travail changent avec des avancées sociales qui d’après les artisans grèvent lourdement le marché. Les besoins de la clientèle changent aussi, la concurrence se fait plus âpre. Plusieurs salon du meuble d’art ont lieu, des biennales du Meuble d’Art et de la décoration sont organisées, des publicités au travers de la presse spécialisées (Art et Décoration – Maison, sélection, etc.) L’institut des Métiers d’Art et de l’Artisanat d’Art (I.M.A.R.A.) crée et organise des formations qualifiantes. Un Lycée d’Enseignement Professionnel est construit dans la ville. Des productions exceptionnelles sont même créées pour le paquebot France, les Émirats Arabes, Qatar, Oman, Koweit, Arabie Saoudite, la Banque Nationale de Roumanie, la République d’Ouzbékistan, etc.
Un Américain fin connaisseur de meubles d’art et bien informé des capacités des artisans revélois passe une commande impensable ; reproduire le secrétaire à cylindre du Roy Louis XV ! Un véritable mythe, le rêve inaccessible de tout ébéniste. « Quatorze groupes de corps de métiers seront nécessaires pour venir à bout des mécanismes de ressorts, crémaillères, contrepoids qui faisaient de ce secrétaire un véritable coffre-fort pour protéger plans de batailles et secrets d’Etat. » C’est au bout de 17500 heures de travail que le chef d’œuvre est livré en février 1993, cinq années après la commande.
Aujourd’hui quelques entreprises proposent encore au marché de belles productions. Un musée du bois a été créé en 1992 et reste une destination incontournable pour mieux comprendre cette exceptionnelle épopée du meuble d’art revélois. De nombreuses entreprises revéloises très compétentes ont repris le flambeau du « maître » et pionnier Alexandre Monoury dès les années 1920. Nous n’avons pas pu les citer individuellement dans ce court article, ils ont pourtant créé de nombreux chefs d’œuvres.
Crédit photos : Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol
Un ouvrage retraçant de façon détaillée cette histoire publiée par la Société d’Histoire de Revel est disponible à l’Office de Tourisme de Revel ou à la Librairie du Beffroi à Revel.