Depuis l’Antiquité, Baziège (la Badera latine) est un carrefour à une journée de marche de Toulouse. Située à proximité d’un gué qui permettait, grâce aux pountils, à la via Aquitania, de franchir la vallée de l’Hers en toutes saisons, la cité gallo-romaine commandait aussi un autre accès par la rive droite vers Toulouse, via Montlaur, Escalquens. Le «chemin de Montaudran» en garde le souvenir. Les routes de Labastide et de Gardouch permettaient de joindre et approvisionner les zones plus septentrionales vers Caraman, Lavaur et les plus méridionales vers les Pyrénées (Basse Ariège). Ce noeud de voies de communication était fait pour être très tôt un centre de commerce et d’échanges. Mis à part des restes d’amphores, quelques menues pièces de monnaie, il faut attendre le Xème siècle pour avoir une preuve tangible d’un marché à Baziège.
Le marché au sel
Les seigneurs de Caraman ont obtenu le droit de créer un marché au sel à Baziège au Xème siècle. On trouve la trace de l’existence ce marché dans le cartulaire de St Sernin au moment où le seigneur de Caraman cède les droits de ce marché au monastère en 1005.
Tout au long du XIème siècle, ce marché va prospérer au point de faire des envieux : des conflits vont éclater entre les seigneurs locaux et le monastère pour le partage des revenus (les comtes de Toulouse, la famille des Laurac vont s’y intéresser).
En 1145, un accord intervient entre le monastère et le seigneur de Baziège : les bénéfices seront partagés à parts égales et le seigneur de Baziège devra fournir des locaux, à l’intérieur de la cité, pour percevoir la taxe (en nature) et entreposer le sel pour le commercialiser. Le salinum sera probablement installé près d’une des deux portes, celle d’Auta.
Pour l’anecdote, ce commerce était assuré par des marchands Goths (des régions côtières narbonnaises qui ont fait partie pendant longtemps du royaume Wisigoth) à l’aide d’ânes comme bêtes de somme. L’âne, animal robuste, se contentait comme nourriture de l’herbe des fossés. Parfois mal surveillés, ces animaux s’égaraient dans des champs de céréales bordant la voie et des récriminations, dont on a gardé la trace, ont été faites par les propriétaires lésés par le piétinement ou la perte d’une partie de leur récolte.
Ce marché s’est tenu jusqu’à cinq jours dans la semaine dont le samedi qui était déjà considéré comme le jour du « grand marché ».
Le marché aux céréales
Par la suite, le commerce du sel ayant emprunté d’autres voies (instauration de la gabelle au XIVème siècle), des lettres patentes royales de 1314 (Philippe IV Le Bel), instituent de façon définitive les marchés du samedi.
L’incursion du Prince Noir (1355), les luttes fratricides entre Armagnacs et Bourguignons, les raids des routiers des grandes compagnies (1439), les guerres de religions vont mettre à mal ces marchés ; mais pendant les périodes de paix, ceux de Baziège vont être des plus importants de la région (Villefranche n’est encore qu’une petite bourgade et il lui faudra attendre la fin du XVIIIème siècle pour que ses marchés surclassent ceux de Baziège).
Le marché de Baziège du samedi va se spécialiser dans le commerce des céréales et plus particulièrement du blé (le Lauragais sera un grenier à blé, surtout après la construction du Canal du Midi qui facilitera son écoulement et sa commercialisation). Au XVIIIème siècle c’est l’un des plus importants de la région après Toulouse.
Sous la place couverte, (à l’emplacement de la Halle actuelle et qui devait à l’époque ressembler à celle de Villenouvelle, basse et sombre aux piliers massifs), cinq mesures en pierre sont installées à demeure : deux pour le sétier, deux pour le demi-sétier et une pour le quart de sétier. Des droits sont prélevés sur les ventes de céréales pour l’utilisation de ces mesures et le loyer de la halle. Quand la « pesée » des grains était faite à l’aide des mesures, ils étaient acheminés à Ticailles, où ils étaient chargés sur les péniches.
Les marchés du samedi
L’activité du marché du samedi ne se résumait pas seulement au commerce des grains. La place et ses alentours, y compris des rues assez éloignées, étaient aussi occupés par des emplacements réservés à toutes sortes de commerces : marchands lingers et drapiers, de verres et faïences, jardiniers et marchands de légumes. Chaque marchand disposait d’une place de même longueur qu’il louait à l’année. Pendant longtemps les droits perçus pendant le marché (et des foires) furent les seuls revenus de la communauté et les Consuls veillaient jalousement à leur bon rapport. C’est ainsi que le commerce des volailles et des salaisons qui se tenait alors route de Caraman (rue du Père Colombié) et qui de ce fait était difficile à surveiller fut installé à l’Esplanade qui s’appelle depuis « Place de la Volaille ».
De toute la contrée, on venait au marché de Baziège, le samedi. Les transactions pouvaient durer longtemps : deux hôtels, des auberges, des cabarets, des écuries et des affenages accueillaient gens et bêtes. Un artisanat et un commerce local complet et dynamique (boucheries, boulangeries) permettaient de satisfaire toutes les demandes liées à une vie rurale intense.
Les tourments de la Révolution de 1789 n’affectèrent que très peu les marchés. L’importance économique de Baziège était telle que la commune fut choisie comme chef lieu de canton. De deux foires annuelles, on passa à cinq et un foirail fut en conséquence créé en 1792. Il existe toujours, de nom, du moins.
Les lieux du marché
Au XIXème siècle, les marchands sont de plus en plus nombreux. Ils s’installent dans la rue, devant chez des particuliers qui se permettent de prélever des droits de place au détriment des finances communales. Aussi, en 1862, décide-t-on de construire une nouvelle halle sur l’emplacement de l’ancienne poste aux chevaux (aujourd’hui emplacement occupé par la Médiathèque et le Crédit Agricole). Ce sera la Halle aux étalagistes, réservée, comme son nom l’indique, aux marchands de draps, de linge, de vaisselle, de quincaillerie.
L’ancienne Halle, toujours vouée au commerce du grain sera totalement reconstruite en 1882 après de nombreuses hésitations et depuis, à part les portes vitrées des ouvertures, elle reste un magnifique témoignage architectural de la fin du siècle.
La Place de la Volaille sera repensée : entourée d’une murette, une marquise aux salaisons sera construite et remplacée dans les années 1925 par un affreux hangar aux piliers de fers entre-croisés et au toit de tôle ondulée.
Le couvert actuel date des années 1970/73. Malgré tous ces aménagements, l’espace va encore manquer et le samedi matin, des étals et des toiles vont encore fleurir le long de la Grand Rue, entre les deux Halles.
Les foires ne tiennent pas leurs promesses
A la fin du XIXème siècle, malgré le soutien financier des municipalités qui organisaient et subventionnaient les concours de boeufs et génisses grasses, d’ovins de la race spéciale du Lauragais, ces foires n’arriveront pas à concurrencer celles bien plus importantes de Caraman et Villefranche. Il faut dire aussi que la multiplication des foires et des re-foires (quand la foire n’avait pas obtenu le succès escompté par les organisateurs à cause du vent ou de la pluie, elle était reconduite la semaine suivante, ce qui arrivait souvent…) lassait les maquignons et inquiétait les propriétaires qui voyaient d’un très mauvais oeil leurs maîtres-valets et leurs métayers préférer la fréquentation des champs de foires et de leurs cabarets à celle de leurs champs qui restaient alors sans bras.
Fin du commerce du blé
Le commerce du blé et des céréales va durer jusqu’en 1936, où après de nombreuses crises le pouvoir politique du Front Populaire, décide de moraliser le marché du blé, jusque là tenu par les seuls négociants en grains en créant l’Office National Interprofessionnel du Blé (ONIB). Les négociants en céréales vont déserter la Halle aux grains qui va être occupée par les commerces de bouche (jardiniers, fromagers, boulangers…)
Après les années 1970, la Halle aux étalagistes va être démolie et tous les commerçants vont s’entasser sous la Halle aux grains. Le marché du samedi va péricliter : les habitudes des clients vont changer, les petits commerces et artisanats ne pourront survivre, les normes sanitaires vont évoluer : le marché à la volaille ne se tiendra plus, faute de producteurs vendeurs surtout !
Durant les années 70, les épiceries Fargues, Rumeau, Errera, Bonnifassy vont fermer, ainsi que les boucheries Capelle/Messonnier et Laconde. Les trois boulangeries pâtisseries vont résister même si elles ont changé de propriétaires.
Baziège a changé : d’un village rural vivant de l’agriculture, de ses foires et marchés, de son commerce et artisanat, il va devenir progressivement un village résidentiel. La plupart des fermes sont devenues des résidences principales dont les occupants travaillent hors commune.
Le marché, lui aussi a dû évoluer : enfermé et étouffé sous la Halle aux grains, il a conquis, non sans mal, la Grand Rue, déborde un peu parfois dans les autres ruelles, mais surtout offre aux visiteurs et aux consommateurs un choix de produits variés au goût du jour, en qualité et en fraîcheur. L’endroit est convivial : on s’y retrouve, on y rencontre les nouveaux baziégeois, on y raconte mille et mille potins. Un bon signe qui ne trompe pas : les habitants des communes voisines reprennent le chemin de Baziège, le samedi matin et on en mesure l’attirance à la difficulté que l’on éprouve alors à circuler du côté des Allées Paul Marty encombrées de véhicules en stationnement.