Gabriel Sirven le poète journaliste
C’est dans cette ambiance que vécut et œuvra Gabriel Sirven (dit Georges Visner). Il n’était pas originaire de Toulouse, mais de la petite ville voisine de Caraman, aux limites du Lauragais, où il naquit d’une famille modeste le 17 juin 1846, fils de Baptiste Sirven (maçon) et de Jeanne Boyé ; dans sa prime jeunesse il fut coiffeur. Il passe dans son pays natal les 25 premières années de sa vie, s’y étant marié avec Bernarde Marie Mélanie Oulie originaire de Toulouse.
Il se rend ensuite à Toulouse, où il entreprend de faire du commerce. Il y devient « négociant ». Mais élevé dans un milieu où on ne parlait guère que la langue d’Oc, il s’intéresse à notre langue ancestrale et commence à rimer. Il rimera toute sa vie.
Il entre en relation avec les poètes « patois » de la ville, l’imprimeur Perry, dit Ryp, le barde populaire Josselin Gruvel, le journaliste Louis-Ariste Passerieu, et il entreprend une correspondance suivie avec d’autres poètes de langue d’Oc, Pascal Cros, de Marseille, directeur du petit journal « La Sartan », un jeune instituteur Prosper l’Eté (lisez : Prosper Estieu), un autre instituteur Antonin Perbosc, et surtout Auguste Fourès, qui vivait principalement à Toulouse, où il était devenu directeur du « Petit toulousain ».
L’influence d’Auguste Fourès sur Gabriel Sirven deviendra primordiale. A son contact, il affirmera son occitanisme, il épurera sa langue et adaptera son orthographe. Il sera fédéraliste, sans pour autant faire œuvre de théoricien. Mais comme Fourès l’avait souhaité, il demeurera en contact étroit avec le peuple, au moyen notamment du journal «Le Gril» qu’il avait fondé et qu’il devait publier durant plusieurs années, même après la mort prématurée de Fourès le 4 septembre 1891.
Dès les premiers mois de 1891 est fondé le journal « Le Gril » où, en étroit contact avec le peuple, ses rédacteurs, Gabriel Sirven en tête le plus clairvoyant d’entre eux, dispenseront à la fois enseignement et délassement. Les premiers succès furent encourageants, et, le 10 mars, Visner pouvait écrire à Fourès : « La réüssida es completa, la fuelha se vend coma cap de pichon jornal s’es pas jamai vendut à Tolosa… ».
Gabriel Sirven fut, en plus d’un animateur convaincu et efficace, un bon poète un « poetae minores ». Sa production poétique est essentiellement contenue dans trois ouvrages « Le Ramel païsan » publié à Toulouse et à Paris en 1892, Le « mescladis mondin » publié en 1895 contenant des pièces de vers et des récits en prose parus pour la plupart dans le journal « Le Gril » (petits récits, chroniquettes tantôt humoristiques tantôt plutôt sentimentales), et « Rébrècs dé moundi » édité en 1901 à Toulouse. On trouverait encore d’autres pièces délicieuses, dans ces trois recueils celles, en particulier où il rappelle le souvenir de son père, de sa mère, de son pays natal, de Caraman, de sa maison…
L’Oustal
Moun niou païral es sul tupel quilhat,
Beï, del sulhet, des biels la toumbo oumbrose,
E cats en-là, mens débè’s cers : Toulouso !
Moun niou païral es sul tupet quilhat,
Tal l’a bastit, tal es, joust l’ourmo niboulouso,
Amé l’granjou dé l’ort, d’élo acatat.
Beï del sulhet, des biels la tumbo oumbrouso,
Qu’à porto-boux aquiou bas, es pel prat,
Joust lé ciprex, l’erbo pimpanélouso.
E cats en-là mens débé’s cers : Toulouso,
Dount les cluquiès traoucon l’aïré abrasat,
Toucadous d’or pican la brumo blouso !
Moun niou païral es sul tupel quilhat !
La Maison
Le sol paternel est sur un mont quillé,
Il voit, de son seuil, des vieux la tombe ombreuse,
Et au-delà, moins vers le nord, Toulouse !
Le nid paternel est sur un mont quillé,
Tel il le batit, tel il est, sous l’orme ombrageux,
Avec la petite grange du jardin, d’elle couverte.
Il voit, de son seuil, des vieux la tombe ombreuse,
Qui, à portée de voix, est en bas dans le pré,
Sous les cyprès, l’herbe pleine de primevères.
Et au-delà, moins vers le nord, Toulouse,
Dont les clochers trouent le ciel embrasé,
Aiguillons d’or piquant la brume bleu-grise !
Le nid paternel est sur un mont quillé.
Jusqu’à l’âge de 25 ans, Gabriel Sirven demeura dans sa maison natale situé au lieu dit « Sol de la Rente » (Route de Toulouse.. entrée de Caraman) et de mémoire de jeunesse il conserva le souvenir d’avoir tuté les grillons (il fut surnommé plus tard « 1er Tutarié » celui qui racontait les nouvelles de Toulouse). Il associa le nom de cet orthoptère (grillon) à Toulouse et créa le journal Lé Gril dé Toulouso (Le Grillon de Toulouse, 5 Boulevard de la Gare), Cantan dus cops lé mes.
Lé Gril : gazetto senmanalo dé la léngo patouèso paraît pour la première fois en février 1891 à Toulouse. Le journal s’adresse à un public populaire et connaît rapidement un grand succès ; en juin 1891 le tirage atteint 10 000 exemplaires. En plus des chroniques sur la vie toulousaine, le théâtre, la politique, on y trouve des contes, des poèmes, un feuilleton et des histoires humoristiques. Tous les textes publiés sont en occitan et le journal n’impose aucune règle de graphie aux auteurs. A partir de 1896 quelques textes sont en français et apparaît le sous-titre Le Grillon de Toulouse. D’abord hebdomadaire, le journal devient bimensuel en avril 1894. En juin 1898 il fusionne avec la Terro d’Oc. Le 1er octobre 1900 une nouvelle série voit le jour et va s’interrompre en janvier 1901. Une troisième et dernière série paraît de juin à août 1907.
On lui doit aussi deux pièces, « La leiçon de patues » et « Un tresor à l’inque »t. La première de ces deux pièces, en prose, préfacée par Auguste Fourès, a pour sujet les amours d’un jeune étudiant et d’une jeune servante. Dans la seconde, l’auteur nous fait pénétrer avec lui au cœur de l’Inquet, nom donné au célébre marché aux puces qui se tenait déjà, et se tient toujours le dimanche matin, autour de l’insigne basilique Saint-Sernin.
Gabriel Sirven le négociant
Il conserve, en étroite relation avec son cousin, François Soual, négociant en tout genre, le « supermarché » de l’époque à Caraman, situé place du Crucifix (actuelle place de la République). On trouve de tout dans cette boutique déjà ouverte en 1872 : des huiles, des savons, des denrées coloniales… chocolats, poissons salés, fruits secs, sardines à l’huile, du sel (commerce du sel à Caraman depuis l’an mil), café des gourmets, roquefort, pâtes alimentaires, vermicelles, macaronis, nouilles, saucissons, thon mariné, eau de vie d’Armagnac, rhum et cognac, liqueur verte, blanche, jaune, eau de fleurs d’oranger, gélatine blanche, bleue et rose, thé de chine, huile d’olive extra surfine vierge provenant de Porto Maurizio (Italie)… mais également assortiment de pinceaux, brosses à tableaux, couleurs en tablette, pastilles et pastels, toiles à peindre, couleurs en tube, boîtes à paysage, chevalets et tout ce qui a rapport aux arts… toute quincaillerie, fer, fonte, acier, cuivre, bronze, étain… pétrole et essence, balance romaine, serrures, mèches, tarières, loquets targettes, verrous, fer à repasser, arçons à forer, armes de luxe…rogne-pieds, fleurets, poignards, couteaux de chasse, sabres épées, tranchets, manchettes, articles crépins, fers laminés, tôles, essieux, enclumes, étaux, ressorts, fers de l’Ariège… blanchisserie de cire, bougies filées, flambeaux, cierges et bougies, stéariques, chandelles de suif épurées…
Curieusement bon nombre d’articles sont vendus en commerce, notamment les quantités industrielles d’alcool… l’armagnac (326 frs les 200 litres par semaine), le cognac (100 litres par semaine), le rhum (1 fut de 150 litres tous les quinze jours), l’eau de vie (158 frs, la barrique de 326 litres tous les 15 du mois), le très fameux Pipperment GET (16 frs 56 la bouteille… 18 bouteilles par semaine) et aucune facture de vin… car chaque agriculteur possédait son arpent de vigne et le négoce de vin se tenait chaque jeudi sur la place du marché.
De Gos à Job
Gabriel Sirven tenait également une concession de tabacs, dont il était le créateur… le papier GOS à Caraman dans les années 1880 où était proposés à la vente des poches, fabriquées spécialement, des sacs écornés pour tabac, poudre, épiceries et droguerie, des papiers d’emballages, papiers à cigarettes de Joseph Bardou & fils… Ce dernier lui rachetera la concession des tabacs et ouvrira par la suite sa propre enseigne… le très célèbre Papier JOB.
Sur le quatrième plat du journal « Le Gril », la publicité du papier GOS sera présente à chaque édition, prenant parfois 1/3 de la page. A partir de 1896, il lancera une nouvelle enseigne « Midi Confetti » serpentins toutes couleurs, confettis et farces et attrapes, au 59 allées Lafayette à Toulouse.
Gabriel Sirven a sa place dans l’histoire de notre littérature occitane de l’extrême fin du XIXème siècle, car il fait le pont entre les mouvements « patoisants » du milieu du siècle et les poètes occitans du premier quart du XXème, en dehors du Félibrige dont il s’écarta volontairement. Il fut considéré comme le 8ème troubadour d’Occitanie.